Lors de la Nuit debout à Nice le 11 avril 2016. | Lionel Cironneau / AP

Le premier soir, ce fut une divine surprise. Contre toute attente, la Nuit debout organisée à la hâte à Nice vendredi 8 avril, une semaine après celle de Paris, avait rassemblé près de 500 personnes, selon les organisateurs, 250 selon la police. « C’était inespéré », se souvient une participante.

Une semaine après, ce mouvement citoyen hors partis et hors syndicats, né dans la foulée de la contestation de la loi travail, est toujours là. Chaque soir à 19 heures, une poignée de personnes revient installer stands et pancartes sous les arcades de la place Garibaldi, dans le vieux Nice, captant l’attention d’une centaine de personnes.

« Dans l’arrière-pays, les cafés sont FN »

Vendredi 15 avril, environ 400 personnes ont de nouveau convergé vers la place pour la « grande Nuit debout » promise par les organisateurs, avec la diffusion du film Merci Patron !  de François Ruffin. La mobilisation a beau rester marginale pour cette ville de 344 000 habitants, elle nourrit tous les espoirs des « Nuit-deboutistes » locaux, tant le terrain leur semblait peu propice. « C’est extrêmement difficile de remuer cette ville. Il faut se lever tôt. Ou se coucher tard, s’amuse Julien Girard, figure locale du militantisme associatif et engagé dans la Nuit debout. Les gens ne sont pas dans la contestation, ici. Ils vivent entre eux ». Les participants n’ont pas de mots assez durs pour qualifier leur ville, taxée d’« égoïste », « superficielle » et « renfermée », sur fond d’inégalités criantes et de montée du FN (arrivé en seconde position au deuxième tour des régionales de 2015 avec 36 % des voix).

Camille, qui vit de petits boulots en parallèle de ses études sur l’environnement, fait l’aller-retour chaque jour depuis son village, à quelques dizaines de kilomètres de là, pour venir écouter les débats sur la place. « Les gens viennent parce qu’ailleurs tu ne peux pas parler de tout ça. Tu te fais insulter. Dans l’arrière-pays, les cafés sont FN. La loi travail et les Panama papers, ça a été la goutte d’eau. Les gens en ont ras-le-bol ».

Maria, fonctionnaire, est venue exprès de Cagnes-sur-Mer. Comme beaucoup de participants, elle n’a accepté de parler au Monde qu’en utilisant un pseudonyme. « La Côte d’Azur, ce n’est pas que des riches retraités, Estrosi et ses magouilles [Christian Estrosi, président de la région Provence Alpes Côte d’Azur et maire Les Républicains de Nice]. Il y a des gens qui vivent ici à l’année et qui peinent à joindre les deux bouts », insiste-t-elle.

Des zadistes et des jeunes communistes

En une semaine, l’organisation de la Nuit debout à Nice s’est rodée, avec le soutien logistique – et discret – de la CGT et des jeunes communistes. Tous les soirs, pendant deux heures, l’« agora » offre à chacun le loisir de parler de ce qu’il souhaite. Viennent ensuite les « ateliers » thématiques, regroupant une dizaine de personnes chacun. Comme dans les autres Nuits debout, il s’agit ici de « redonner le pouvoir aux citoyens et se réapproprier la parole publique », rappelle Séverine Tessier, fondatrice de l’association anticorruption Anticor, initiatrice des « Conseils d’urgence citoyenne » contre l’état d’urgence, et participante régulière à la Nuit debout à Nice.

A cette aspiration nationale du mouvement s’ajoutent des thématiques plus locales. À Nice, la question de la crise migratoire, particulièrement sensible, revient régulièrement dans les échanges. La ville est située à moins de 40 km de Vintimille, à la frontière italienne, d’où viennent les migrants. « Les réfugiés ne viennent pas pour avoir un appart' sur la Côte d’Azur, et ne sont ici que de passage. L’idée c’est de les aider en faisant des collectes de nourriture et de vêtements », explique Marina, chef d’entreprise d’une petite structure dans la communication et très impliquée dans la Nuit debout.

L’écologie est elle aussi un thème récurrent, porté par l’indignation que soulève l’opération d’intérêt national (OIN), appelée à restructurer le paysage de la plaine du Var. « Le projet prévoit de remplacer des zones naturelles par du béton », regrette Marina. Des zadistes se sont ainsi joints à Nuit debout.

Agora indignée... mais paisible

A la différence de Paris, où la Nuit debout est peuplée en grande partie d’« intellos précaires », celle de Nice offre une plus grande diversité de profils, de tous âges et toutes professions, même si, comme le déplore une participante, « les jeunes des quartiers périphériques de Nice ne sont pas là ». Nadjar, assistante maternelle et électrice « 100 % FN » depuis dix ans, est également venue avec son ancien mari, Zouhair, anti-FN, pour soutenir le mouvement.

Cette hétérogénéité donne parfois lieu à des échanges qu’on croirait sortis d’un manuel caricatural sur la lutte des classes. Jeudi soir, André, élégant sexagénaire à la tête d’une entreprise et se revendiquant « gaulliste », a ainsi devisé pendant une demi-heure avec son « compatriote » Adrien, jeune poète des rues en treillis et poncho, sur « le système », le capitalisme, la démocratie et l’avenir du pays, chacun défendant un point de vue radicalement différent, mais sans hausser le ton.

Car l’« agora » est indignée, mais paisible. Aucun heurt n’est venu troubler ces soirées où l’on partage son expérience, son « ras-le-bol » et où l’on refait le monde. La préfecture, qui s’appuie sur les caméras de surveillance (omniprésentes dans la ville) et des patrouilles de police, n’a donc pas prévu d’interdire le mouvement, comme le redoutent certains organisateurs. « C’est festif et bon enfant, les gens sont corrects », relève Florence Gavello, porte-parole de la direction départementale de la sécurité publique des Alpes-Maritimes. Le maire (LR) de Nice, Christian Estrosi, qui avait asséné lundi que le mouvement allait « totalement à l’encontre de l’état d’urgence », se fait discret sur le sujet depuis, et n’a pas souhaité répondre aux sollicitations du Monde.