Depuis le 31 mars, la place de la république est occupée par un mouvement citoyen et indépendant Nuit Debout. | GUILLAUME BINET / MYOP POUR LE MONDE

L’animateur de Radio Debout est embêté. Le générateur installé à côté du studio de fortune – une tente en vérité – vient de sauter. De fil en aiguille, une solution est trouvée, et la diffusion peut commencer. Durant plusieurs heures, cette radio amateur va retranscrire les débats et assemblées générales du mouvement Nuit debout, né de la contestation contre le projet de loi travail et qui occupe la place de la République à Paris depuis le 31 mars.

Radio Debout fait partie des multiples médias alternatifs lancés au cœur de ce rassemblement qui attire tous les soirs des milliers de curieux et de militants et se méfie des médias traditionnels. Les participants au mouvement contrôlent méticuleusement leur rapport aux journalistes, établissant même une typologie des médias et des comportements à adopter.

Par exemple, avec les radios et les journaux associatifs ou autogérés, le mouvement né autour du journal alternatif Fakir cherche à établir des contacts privilégiés. Les sites complotistes et les organes d’extrême droite trouveront porte close. Quant aux médias à actionnariat privé, ils sont reçus avec prudence.

Et puis après tout, pourquoi ne pas créer ses propres médias ? Ainsi sont nées Radio Debout, mais aussi TVDebout, le Bulletin Quotidien, le journal 20 Mille Luttes, et les multiples comptes sur Twitter et Facebook.

La diffusion des débats est également assurée en direct par des journalistes improvisés. Le plus célèbre d’entre eux, Rémy Buisine, est devenu la star de Nuit debout dimanche 3 avril en diffusant une soirée à République sur l’application vidéo Periscope, un direct alors suivi par plus de 80 000 personnes. Aujourd’hui, plusieurs « Periscopeurs » sont listés sur le « wiki » de Nuit Debout, à destination des internautes qui veulent suivre le mouvement à distance.

Une communication pragmatique

Nuit debout se méfie mais ne boycotte pas les médias. Dans l’équipe, une militante, Norah, est même chargée de lire et recenser tout ce qui est publié sur le mouvement. Cette veille, qu’elle tient depuis deux semaines, sert « à mieux bosser avec les médias », raconte-t-elle. « C’est un travail très technique, je recense tout, sur les médias de droite comme de gauche. » Pour Quentin, les médias internes et traditionnels sont complémentaires. « Avec TV Debout et Radio Debout on s’adresse à un public déjà convaincu », estime-t-il.

Certains militants utilisent les réseaux sociaux pour relayer les actions du mouvement et attirer de nouveaux curieux. Un « media center » intégré à la commission communication et composé de près de 10 personnes est chargé d’assurer la présence de Nuit Debout sur une page Facebook et un compte Twitter unitaire. Entre eux, les militants utilisent l’application de messagerie Telegram, et disposent d’un groupe d’une centaine de personnes pour faire remonter les actions du terrain aux réseaux sociaux.

Les informations sont aussi relayées sur plusieurs sites et un wiki. Le premier site, Convergence-des-luttes.org, a été monté bien avant le 31 mars par le comité du même nom à l’origine du mouvement Nuit Debout.

NuitDebout.fr a lui été acheté le 1er avril par deux militants, Baki Youssoufou et Noémie Toledano, également responsables de l’agence de communication Raiz, puis mis à la disposition des militants. Ils font l’objet de plaintes répétées de certains participants, les accusant de vouloir s’approprier le mouvement sur le net, mais nient cette volonté et assurent participer très peu à la communication.

Un hébergement a été fourni par Benjamin Sonntag, trésorier de l’association de militants du Web la Quadrature du Net. « On est plusieurs à fournir des petits bouts d’infrastructure Internet en attendant qu’un mouvement formel existe », explique cet entrepreneur qui travaille notamment pour la société Octopuce. « Les espaces que je gère sont co-administrés, on est trois administrateurs systèmes à s’être retrouvés pour créer des listes de discussion, des boîtes mails, gérer le code du wordpress, etc », poursuit Benjamin Sonntag.

Un discours incertain sur les réseaux sociaux

En revanche, le mouvement communique peu de discours politiques sur Twitter et Facebook. Sur Twitter, @NuitDebout appelle à la mobilisation, informe sur les débats à venir mais diffuse peu de slogans tranchés. « On nous reproche souvent d’être bisounours, mais on n’a pas vraiment de mandat pour s’exprimer politiquement au nom de Nuit Debout », explique Noémie Toledano, « du coup on essaye essentiellement de donner une image positive du mouvement, on fait remonter des actions et informations, ou des discours parfois contradictoires, mais c’est toute la difficulté de relayer un mouvement horizontal. »

Ce statu quo découle des blocages politiques qui touchent le mouvement. S’il est né de l’opposition au projet de loi travail et du comité Convergence des Luttes, le mouvement Nuit Debout est aujourd’hui dépassé par la masse de ses curieux et de ses bonnes volontés. « On n’a pas encore de système de vote clair », appuie Quentin. « Du coup on n’a pas de consensus politique pour communiquer », déplore Youlie, membre de la commission communication.

Dans les rapports avec les médias aussi, les communiquant sont dépassés. La petite équipe presse, assaillie de demandes, doit composer avec l’absence de décisions politiques. « Montrer qu’il y a des jeunes et des citoyens qui s’engagent et se réapproprient la politique et les médias, c’est déjà un discours politique », souligne Quentin. « On a quand même des convergences de base, sur l’antiracisme, le féminisme, les effets du capitalisme… » Ce jeune chargé de communication dans le civil cherche l’équilibre entre l’ouverture et les actions politiques affirmées, comme la manifestation devant une école de commerce parisienne où intervenait le numéro deux du Front National Florian Philippot, mardi 19 avril dans l’après-midi.

L’impossible cohérence nationale

L’incertitude ne touche pas que Paris mais le reste des mouvements. Aujourd’hui, des militants disposent d’outils pour lancer sur le terrain leur propre Nuit Debout dans leur ville. Sur les réseaux sociaux aussi, chaque mouvement local fait ce qu’il souhaite. « Il n’y a pas de coordination au niveau national », explique Baki Youssoufou, ancien président de la Confédération étudiante et ancien militant CFDT. À Besançon, la Nuit Debout demande sur sa page Facebook la gratuité des péages, le territoire de Berlfort appelle les motards en colère à rejoindre le mouvement. Il est également difficile de savoir qui créée quel compte Twitter ou page Facebook. « Des gens sur le terrain qui font la Nuit Debout de Bayonne nous ont dit ne pas savoir qui gérait la page Pays basque », raconte Noémie Toledano.