En 2011 dans la revue « Esprit », le syndicaliste Bruno Trentin soulignait l’urgence de repenser le travail après le Taylorisme. Le philosophe Mathew Crawford se place, lui, en tête des ventes avec son Eloge du carburateur : essai sur le sens et la valeur du travail, tandis que le député Jérôme Chartier rédige un Eloge du travail. Autant de publications qui ont interpelé Jacques Le Goff. Pour cet ancien inspecteur du travail, « d’évidence quelque chose se passe qui mérite attention et justifie que l’on s’interroge sur le surprenant regain de la valeur travail ».

C’est comme si aujourd’hui on se demandait à nouveau où va le travail, comme si « l’on redécouvrait le travail dans son contenu, dans son statut de valeur, selon un langage qui passait, il y a peu encore, pour daté sinon ringard ». Comment expliquer la puissance du questionnement contemporain autour du travail et quelle peut être la contribution du christianisme à cette réflexion dans un contexte de métamorphose de l’emploi ? Autant de questions que se pose Jacques Le Goff dans Le retour en grâce du travail, un ouvrage concis et bien écrit.

Au plus près du terrain

Longtemps, la pensée chrétienne a considéré que la valeur était extérieure au travail, note le professeur émérite de droit public de l’Université de Brest : « d’un côté, le sourire de l’expression spontanée et créative des capacités, de l’autre le visage blême de la turpitude sans fin avant l’âge de la retraite ». Depuis les années 1980-1990 pourtant, les importantes mutations techniques, économiques et culturelles ont modifié en profondeur le style de l’activité professionnelle, en accordant une « place inédite à l’individu devenu sujet et acteur du travail ».

L’auteur réfléchit aux conséquences de cette évolution : l’individu souhaite s’accomplir en tant que personne dans son métier tout en attendant de la société une reconnaissance dans et par le travail. D’où l’importance de replacer le travail au centre du débat public non seulement sur son versant emploi, mais aussi comme « l’un des grands épicentres de la vie personnelle et sociale ». Cela suppose de l’envisager au plus près du terrain, d’aller au-delà du registre technique de l’activité.

Pourtant, « si le droit du travail connaît les travailleurs dans leur cadre d’exercice - l’entreprise -, il ignore presque tout de la signification du mot travail qui ne semble pas constituer un objet de réflexion pertinent » écrit-il. En effet, cette problématique est réputée philosophique, et le sens et le contenu du travail sont souvent donnés pour évidents, « ce qui est loin d’être le cas ».

Par travail on entend essentiellement le travail contraint, répondant à la nécessité, alors même que sa fonction utilitaire n’épuise pas toute sa signification. L’auteur compare ainsi le travail à « un instrument à plusieurs cordes dont l’une, la plus grave, fait entendre le chant profond et triste de la contrainte tandis que les autres renvoient une autre musique plus alerte ».

Redonner des couleurs

La pénibilité du travail, au centre du débat social, résulterait moins de la seule dépense d’énergie et de temps que du rapport entre cette contribution et la rétribution, monétaire mais aussi en termes de construction de soi, de satisfaction personnelle. « En sorte que des travaux difficiles, exigeants, astreignants seront toujours beaucoup mieux supportés que d’autres plus simples mais moins gratifiants et n’impliquant qu’un faible investissement de soi ».

Le coût humain du travail n’est donc pas à lui seul un critère suffisant pour juger de sa valeur. Il faut aussi prendre en compte sa fonction expressive et le problème est justement « de trouver, entre ces deux versants de l’activité, le plus juste équilibre ». Il s’agit donc de faire part à des aspirations trop longtemps négligées, à savoir : le travail bien fait, la reconnaissance des compétences réelles dans un rapport de confiance supposant un engagement de responsabilité, et une meilleure visibilité des finalités du travail et de l’entreprise avec « le sentiment corollaire d’une participation à une oeuvre réellement commune ».

Redonner des couleurs au travail ne prendra pourtant tout son sens que si chômeurs et exclus sont associés au mouvement, d’autant plus qu’on s’achemine vers une détérioration durable de la situation. L’Organisation internationale du travail qui comptabilisait 202 millions de chômeurs dans le monde en 2013 prévoit le chiffre de 215 millions en 2018. « Sauf à créer une situation explosive, on n’échappera pas à la contrainte d’une nouvelle redistribution du travail selon des modalités réellement plus solidaires ». L’auteur revient alors à la question initiale : celle de la contribution du christianisme à la pensée du travail au XXIe siècle. Il appelle et espère, avec « une certaine impatience », un discours de l’Eglise plus construit, mieux argumenté sur le sens profond et le rôle du travail.

Le retour en grâce du travail - Du déni à la redécouverte d’une valeur, Jacques Le Goff (Lessius, 126 pages, 14 euros).