La Société générale, l’une des grandes banques françaises, est l’un des principaux clients de Mossack Fonseca, comme le révèlent les « Panama papers » et l’enquête du Monde. L’analyse des données de la firme panaméenne place la Société générale dans le « top 5 » des banques qui ont créé le plus grand nombre de sociétés offshore par son entremise, depuis la création de Mossack Fonseca en 1977 jusqu’en 2015.

Le ministre des finances « Michel Sapin recevra dans les heures qui viennent les dirigeants de la Société générale pour avoir des explications avec eux, a réagi le secrétaire d’Etat chargé du budget Christian Eckert mardi après-midi sur LCP. Ses dirigeants vont être passés, si j’ose dire, à la question par le ministre des finances. »

Les « Panama papers » en trois points

  • Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux.
  • Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias.
  • Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.

Ce n’est pas au siège parisien de la banque que s’organise ce business offshore, mais dans ses filiales en Suisse, au Luxembourg et aux Bahamas, loin des projecteurs et à distance du superviseur bancaire français. Des territoires où jusqu’à présent, le secret bancaire a prévalu. Au total, la Société générale compte à son actif 979 sociétés offshore, immatriculées par Mossack Fonseca, derrière la britannique HSBC (2 300 sociétés), les suisses UBS (1 100 sociétés) et Crédit Suisse (1 105 sociétés), toutes trois poursuivies dans des scandales de fraude fiscale.

L’intégralité de l’enquête en édition abonnés  : La Société générale, une banque au cœur de l’évasion fiscale

Pourtant, depuis la crise financière de 2008, les banques défendent leur recentrage sur le financement de l’économie réelle et la fin des activités opaques et risquées. Elles sont censées avoir quitté les paradis fiscaux opaques et non coopératifs dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et n’y mener aucune activité commerciale. En outre, l’état-major de la banque avait pourtant affirmé vouloir cesser toutes ses activités avec le Panama dès 2010, en annonçant la fermeture de sa filiale locale.

Pour le compte de clients fortunés

Malgré ses engagements à ne plus travailler avec les paradis fiscaux opaques, le groupe français est dans le « top 5 » des banques utilisant les services de la firme panaméenne. | BERTRAND LANGLOIS / AFP

Dans le cas de la Société générale, deux tiers de ces entités offshore ont été créées par sa filiale SG Bank & Trust Luxembourg, qui a choisi d’en domicilier une bonne partie dans les paradis fiscaux des Seychelles et des îles Vierges britanniques. Le tiers restant a été commandé par la SG Private Banking de Genève, qui les a enregistrées au Panama, et par sa filiale des Bahamas, la SG Hambros Bank & Trust. Ces sociétés offshore ont été créées pour le compte des clients fortunés de la banque.

Si la création de sociétés semble s’être fortement ralentie depuis 2012, si des structures ont été fermées, près d’une centaine des entités ouvertes par la Société générale chez Mossack restent actives. D’autres, transférées à d’autres gestionnaires, poursuivent leurs activités ailleurs.

Chez Mossack Fonseca, la banque française est un client choyé. En témoigne cet e-mail de Mossack Fonseca, adressé le 19 mars 2010 à la filiale luxembourgeoise de la banque, la Société générale Bank & Trust Luxembourg : « 660 dollars seulement pour une société au Panama, frais de mise à disposition de directeurs (prête-noms) inclus ! 10 % de réduction spéciale sur toutes les autres juridictions », vante t-il. « Offre garantie quatre ans ».

Toutes bâties sur le même modèle, les entités créées font appel à des prête-noms (dirigeants et actionnaires fictifs), allant parfois jusqu’à les empiler à tous les étages de responsabilité. La volonté d’opacifier au maximum les montages, afin qu’il soit compliqué voire impossible de remonter à l’identité des vrais propriétaires, y est manifeste.

En 2009, alors que les Iles vierges s’apprêtent à lever l’anonymat des sociétés offshore dans le cadre d’un changement législatif, SG Bank & Trust Luxembourg s’organise pour maintenir le secret. Elle commande deux fondations, avec prête-noms, à Mossack Fonseca (Rousseau et Valvert). Puis les enregistre comme actionnaires des 200 sociétés ouvertes pour ses clients aux Caraïbes. Un pied-de-nez aux autorités locales, que la firme panaméenne facture au prix fort : « C’est une situation très spéciale et plus risquée pour nous », justifie-t-elle dans un mail du 23 avril 2009.

« Respect des standards antiblanchiment »

« Nous avons fermé notre implantation au Panama il y a plusieurs années, déclare au Monde la Société générale. Mais cela n’impose pas une absence de relations commerciales ou d’affaires avec des clients ou des distributeurs dans ces pays, dans le respect des standards antiblanchiment ». La banque, précise qu’elle restera « attentive aux évolutions concernant la société Mossack Fonseca ».

Sur le fond, la Société générale ne voit aucun problème à faire de l’offshore, une activité qui « représente des revenus marginaux ». La banque affirme procéder à toutes les vérifications d’identité, dans le cadre d’une politique antiblanchiment active : « Nous maîtrisons systématiquement l’identité de nos clients et des bénéficiaires économiques (…) et le fonctionnement des comptes bancaires de ces sociétés ». La banque dit tenir ces renseignements « à la disposition des régulateurs et des autorités judiciaires et fiscales compétentes ».

« Panama papers » : comprendre le système offshore en 3 minutes
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