Le scénariste de comics Paul Dini est l’un des principaux invités de la Paris Comics Expo, qui se tient du 15 au 17 avril au Parc Floral, dans le 12e arrondissement de Paris. S’il écrit des scénarios pour la maison d’édition de Superman et de Batman depuis 2006, il a d’abord eu une longue carrière dans le dessin animé.

Recruté par George Lucas en 1984 pour des projets d’animation, il a aussi travaillé pour Warner Bros à partir de 1989, où il a écrit pour les séries animées adaptées de l’univers DC Comics : Superman, L’Ange de Métropolis, La Ligue des Justiciers et surtout Batman. C’est en collaboration avec Bruce Timm qu’il créera le personnage d’Harley Quinn, aujourd’hui partie intégrante de l’univers DC, publié en France par Urban Comics.

Entretient avec l’homme qui a donné une histoire et une psychologie, à plusieurs méchants de Gotham City.

Comment crée-t-on un « bon » méchant ?

Un bon méchant vient de l’observation de la vie, du monde qui nous entoure. Les gens ont toujours un trait, une bizarrerie intéressants. Je les observe et je me dis : « Je vois comment cela pourrait échapper à tout contrôle. » Mais la clé, c’est qu’il reste toujours une étincelle d’humanité en eux. Ils ont des sentiments humains, le problème c’est qu’ils les expriment aux dépens des autres.

C’est important de pouvoir vaincre le méchant ?

Il y a des méchants qui sont faits pour être détruits. D’autres non, ça romprait l’histoire – et puis ça causerait du tort à la franchise [rire]. D’ailleurs, la peine de mort n’existe pas dans les comics – dans la vraie vie, le Joker aurait été condamné à mort depuis longtemps. Le plus important, c’est de garder l’action palpitante. Si tout est juste « pour rire », si le méchant est vaincu trop facilement, il n’a plus d’intérêt, et le héros non plus.

"La mort en cette cité", de Paul Dini | Urban Comics

Le héros a donc besoin d’un méchant pour être un bon héros…

Oui, les bons héros ont besoin d’un équivalent, d’un opposant. Ils sont définis par leurs méchants. Par exemple, Bugs Bunny, s’il ne devait pas échapper à ses adversaires, ce serait juste un lapin un peu idiot.

Vous avez écrit pour des séries ancrées dans un univers souvent déjà existant : « Star Wars », « Batman », les « Looney Tunes »… Est-ce difficile de travailler sur des personnages avec un héritage aussi lourd ?

J’ai la chance d’avoir été doté très tôt d’un amour pour les dessins animés. Quand l’opportunité s’est présentée de travailler sur ces personnages, j’ai juste pensé : « Oh la vache, je peux vraiment m’amuser avec ça ! » C’est comme de la fanfiction, et j’ai la chance d’être payé pour ça. Et comme la fanfiction, les gens me diront s’ils n’aiment pas ce que je fais.

Le truc quand on travaille sur des personnages aussi connus, c’est de trouver la nouveauté. Par exemple, Tom et Jerry, c’est compliqué : ils passent leur temps à faire la même chose, et ils ne parlent pas. Il y a un schéma préétabli. Et puis tu penses à la petite chose qui n’a jamais été faite, et qui va faire changer la dynamique.

Paul Dini a accepté de nous montrer son "sourire de méchant". | Mathilde Loire / Le Monde.fr

Vous avez travaillé sur « Batman », « Scooby-Doo », « Clone Wars », « Superman »… Comment écrire un méchant pour un public d’enfants ?

Un bon méchant pour les enfants les menace directement, mais sans être traumatisant. Souvent, l’humour peut être utile pour alléger l’ambiance, à travers un comparse un peu ridicule, comme Mr Mouche avec le Capitaine Crochet, par exemple.

Un enfant face à un méchant de fiction, c’est un peu comme avec les tigres, les lions, les panthères, c’est excitant pour un enfant. Un félin pourrait les manger… mais ça n’arrivera pas. Et c’est pareil avec les méchants : il est important qu’ils soient battus à la fin, que les gentils et les innocents soient saufs… Mais toujours avec l’idée que la situation aurait pu mal se terminer.

Je pense qu’un bon méchant peut aussi valoriser, responsabiliser l’enfant. J’ai grandi entouré par les histoires, les contes de fées. L’idée des dragons, des vampires, etc., tout cela peut donner à un enfant un sentiment de pouvoir, il y a quelque chose à surmonter.

Justement, quels sont vos méchants préférés, vos inspirations pour écrire ?

Dans la fiction, la mythologie j’aime beaucoup Baba Yaga, la sorcière des contes russes, elle est très cruelle. Sher Khan, dans Le Livre de la Jungle est un personnage intéressant aussi. C’est un méchant car il veut tuer un enfant innocent. Mais il n’a pas tout à fait tort : il ne veut pas que les humains dérangent la vie sauvage… On voit le résultat aujourd’hui de l’action de l’homme sur la nature. J’aime beaucoup les personnages de Steinbeck aussi, qui doivent subvenir à leurs besoins.

Et puis j’ai vécu dans la région de San Francisco, dans les années 1970. Il y avait beaucoup de méchants dans la vraie vie : le Zodiaque [un tueur en série qui sévissait en Californie à cette époque, ndlr] ressemblait à un personnage de Batman ; il y avait les Hells Angels, le gang de motards… Et puis tous ces pauvres types, ces adolescents malveillants. Je suis juste allé chercher dans mes souvenirs pour écrire certains méchants.

Et pour Harley Quinn, ça s’est passé comment ?

J’ai pensé à plusieurs choses, et notamment à un phénomène plusieurs fois observé dans la vraie vie : les tueurs, les vrais méchants, sont attractifs. Regardez Charles Manson [le tueur en série] ! Ces criminels représentent quelque chose pour certaines personnes. Peut-être manque-t-il quelque chose dans leur vie ? C’est le cas pour Harley. Et puis elle pense pouvoir ramener le Joker vers plus d’humanité en l’aimant comme elle le fait.

Suicide Squad – Blitz Trailer - Official Warner Bros. UK
Durée : 02:39

On parle de plus en plus de la place des femmes dans les comics, en tant qu’héroïnes. Mais la question se pose aussi pour les méchantes…

Au début des comics, les auteurs étaient tous des hommes blancs, et c’est encore beaucoup le cas. On avait des méchantes stéréotypées, souvent très « femmes fatales », manipulatrices, avec toujours un soupçon de romance avec le héros.

Je pense que maintenant les méchantes sont plus valorisées, elles ont un but. Chaque fois que j’ai créé une méchante, j’ai essayé d’en faire plus qu’un personnage de second plan. Avec Harley Quinn par exemple, le plus important ce sont les choix qu’elle fait. Sans doute parfois mauvais, mais elle a choisi d’être avec le Joker, comme elle a choisi de s’en éloigner après. Mais c’est important, cet élément de choix.

Harley Quinn sera par ailleurs un personnage central de « Suicide Squad », le prochain film avec des personnages DC produit par Warner Bros. Vous avez été consulté lors de l’écriture du film ?

Non, pas du tout. Vous savez, je suis un peu comme un enfant qui joue avec des figurines dans le bac à sable, et des gamins plus grands viennent et prennent mes jouets. Ils me disent un peu : « Ce que tu as fait est bien, mais voilà comment nous allons raconter l’histoire. » Mais c’est bien, c’est comme ça que ça se passe, il n’y a pas de raison d’être contrarié. D’autant qu’Harley est ce genre de personnage qui peut avoir plusieurs réinterprétations.

Créer un personnage comme Harley Quinn, c’est juste le début. J’ai continué à travailler sur elle pendant quelque temps, et j’en serai toujours fier. Mais j’ai aussi envie de continuer, d’essayer d’autres choses, de créer d’autres personnages.

En parlant de « Suicide Squad », on sent dans le paysage pop culturel une certaine fascination pour les méchants et les antihéros : on fait des films et des comics entiers autour d’eux, on raconte l’histoire de leur point de vue…

« Le Joker est comme n’importe quelle petite brute dans la cour d’école. »

Oui, et on met de plus en plus en avant les côtés faillibles des héros. Tony Stark [Iron Man] par exemple, pourrait facilement devenir un méchant. Il n’est altruiste que si ça lui profite, à lui et à ses amis. C’est parce que le personnage a des failles que l’on peut s’y identifier. Et les histoires nous montrent qu’on peut surmonter ces imperfections. Ou on les laisse nous submerger, et on devient un méchant.

Ce qui est fascinant avec les méchants, c’est qu’ils font des choses dont nous avons seulement rêvé. Ils sont malfaisants, intelligents, puissants. On aime les voir faire des actions mauvaises… et être vaincus après. Ecrire un méchant, c’est une bonne manière de lâcher du lest, ou de se « venger » d’une situation frustrante.

Par exemple, dans les Detective Comics que j’ai écrits, il y a cette scène où le Joker veut commander des burgers dans un fast-food. La vendeuse ne le comprend pas parce qu’il parle trop vite, il demande à parler au manager. Et quand celui-ci arrive, le Joker le tue, juste parce qu’il n’était pas content. Le Joker est comme n’importe quelle petite brute dans la cour d’école. C’est un enfant gâté, et il n’est pas aussi drôle qu’il ne croit.

Le joker, côté drive-in. | Paul Dini / Urban Comics

A propos du Joker, à l’occasion du WonderCon 2016, le scénariste Geoff Johns et le dessinateur Jason Fabok, qui travaillent pour DC Comics, ont annoncé que son identité sera révélée dans le numéro 50 de Justice League. Qu’en pensez-vous ?

Le moins on en sait à propos du Joker, le mieux c’est : il en est plus efficace. Il fait partie intégrante du monde de Batman, et répondre à une aussi grosse question dans la Ligue de Justice, c’est un peu de la triche. Et puis j’espère qu’il n’est pas un parent caché de Batman, ça sonnerait creux. Pourquoi ne peut-il pas juste être « un gars » ?