La mesure proposée le 27 avril par Bruno Le Maire est inspirée d'initiatives de plusieurs conseils départementaux. | PHILIPPE LOPEZ / AFP

Bruno Le Maire veut que les départements regardent les comptes bancaires des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) avant de leur verser leur allocation. Le candidat à la primaire de la droite a fait cette annonce, mercredi 27 avril, entouré de onze présidents de conseils départementaux qui le soutiennent.

Ce que propose Bruno Le Maire

Le député Les Républicains souhaite que les départements deviennent le guichet unique des aides sociales. Et il propose de leur donner « la possibilité d’avoir accès aux comptes bancaires des bénéficiaires du RSA pour s’assurer que chaque bénéficiaire touche bien le montant dont il a besoin et qu’il n’y a ni gabegie, ni fraude ». Ceux qui s’y refuseraient ne pourraient plus recevoir l’allocation.

« Le principe, c’est qu’il ne peut pas y avoir d’aide sans responsabilité ni contrôle, explique Bruno Le Maire au Monde. Je veux que chaque euro d’aide sociale aille à ceux qui en ont besoin. »

Tous les détails de la mesure n’ont pas encore été arrêtés, notamment si ce contrôle serait réalisé a priori ou a posteriori. Le candidat à la primaire de la droite précise néanmoins qu’il « ne s’agit pas de demander aux bénéficiaires du RSA de donner leurs relevés bancaires ». Cela se ferait plutôt sous la forme d’une attestation bancaire, délivrée par la banque, qui permettrait de s’assurer de l’absence de revenus non déclarés.

Est-ce que c’est possible ?

L’article L262 du code de l’action sociale et des familles dit que « l’ensemble des ressources du foyer » sont prises en compte pour savoir si une personne a droit ou non à l’allocation. Et « toute personne qui fait une demande de RSA atteste sur l’honneur de l’exactitude de sa déclaration et les revenus en font partie », rappelle Marion Hornecker, de l’association Entraide le relais, qui accompagne des personnes en difficulté dans leur demande.

Avoir un œil sur le compte en banque d’un bénéficiaire du RSA permet donc, en théorie, de s’assurer qu’aucune source de revenu n’a été omise (travail au noir compris). Et rien ne semble s’opposer à la mise en place d’un tel système, à condition de revoir la loi. Frédéric Bierry, président LR du conseil départemental du Bas-Rhin et soutien de M. Le Maire, le pratique d’ailleurs déjà. « Il nous arrive, dans notre département, de demander aux bénéficiaires du RSA de fournir des relevés de leur compte courant. Mais ils ne sont pas obligés de le donner », reconnaît-il. « Mais il ne faut pas seulement des contrôles : il faut aussi accompagner les bénéficiaires pour favoriser leur retour à l’emploi. »

Sébastien Lecornu, président du conseil départemental de l’Eure, est sur la même ligne : deux salariés travaillent dans ses locaux pour contrôler les allocataires. Ils peuvent notamment demander, depuis un mois et demi, un document d’état bancaire pour contrôler leurs ressources. Mais lui aussi reconnaît un certain flou juridique : « Pour le moment, personne n’a refusé de fournir ces informations, mais si cela arrivait et qu’on décidait de couper le RSA à l’allocataire, on verrait ce que cela donnerait en cas de contentieux en justice. »

L’élu LR estime que « le RSA est un minima social qui s’applique à une situation d’urgence. Or, quand on a 12 000 euros sur son compte en banque, on n’est pas dans l’urgence. »

Que représentent les fraudes au RSA en France ?

La fraude détectée aux prestations familiales, logement et au RSA représentait, en 2013, 143,42 millions d’euros au total, selon la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DLNF). La fraude aux minima sociaux pèse près des deux tiers de cet ensemble (92,68 millions). La part exacte du RSA par rapport aux autres allocations (allocation équivalent retraite, allocation adulte handicapé, allocation de veuvage…) n’est pas précisée, mais se situe dans un ordre de grandeur de l’ordre de quelques dizaines de millions d’euros. Des chiffres à rapporter au nombre de bénéficiaires de l’allocation (2,53 millions de personnes fin 2015, selon la CAF) et au coût total du RSA (9,3 milliards d’euros en 2014).

La fraude sociale en France en 2013. | Les Décodeurs

La proportion réelle de fraudeurs aux aides sociales est quant à elle estimée entre 2,9 et 3,7 %, mais varie fortement d’une allocation à une autre, selon la DLNF, qui estime qu’elle serait plus élevée dans le cas du RSA.

Bruno Le Maire, qui vantait en 2008 « le RSA, une décision courageuse », a-t-il retourné sa veste, préférant désormais mettre l’accent sur les fraudes à l’approche des échéances électorales ? « Il n’y a aucun changement de ligne, rétorque l’intéressé. A partir du moment où on est favorable au RSA, il faut qu’il aille à ceux qui en ont besoin. Je propose aussi un meilleur accompagnement pour aider les bénéficiaires à revenir vers l’emploi. »

Un tiers des bénéficiaires potentiels du RSA ne le reçoit pas

Le prétendant à l’investiture républicaine est en revanche plus silencieux sur un autre sujet : 35 % des personnes éligibles au RSA socle n’y ont pas recours, soulignait une étude de l’Insee en 2014. Parce qu’elles n’y auraient droit que pour quelques mois, parce qu’elles sont mal informées ou à cause de la complexité des démarches.

Rajouter des contraintes administratives, avec l’attestation des banques, pourrait contribuer à accentuer ce problème. « Je ne pense pas, répond M. Le Maire. La vraie barrière pour demander le RSA est plus morale qu’autre chose. Rajouter des contrôles n’est pas un frein pour en faire bénéficier ceux qui en ont besoin. »

Sébastien Lecornu dit avoir lancé récemment dans son département une expérimentation sur le « paiement à juste droit ». Une forme de campagne d’information et d’accompagnement pour que des personnes qui pourraient toucher le RSA mais ne l’ont pas demandé fassent les démarches. Reste à voir comment les deux approches se combineraient dans la durée.