Première photographie du réacteur numéro 4 de Tchernobyl après son explosion, réalisée par le photographe de la centrale, Anatoly Rasskazov, dans l'après midi du 26 avril. Pendant le survol de la centrale, le photographe a été exposé à une dose de radioactivité équivalente à 3 Sv. | Anatoly Rasskazov / Musée national de Tchernobyl (Kiev)

Le 26 avril 1986, vers midi, quelques heures après le début de la catastrophe de Tchernobyl, Anatoly Rasskazov survole le réacteur numéro 4. A bord d’un hélicoptère, le photographe officiel de la centrale saisit l’ampleur du désastre : le toit du réacteur est éventré. Confiées aux autorités, ses images sont immédiatement saisies. Seules quelques-unes d’entre elles seront ensuite publiées, à la fin des années 1980, sans mentionner son nom.

Anatoly Rasskazov est l’un des rares photographes, avec Igor Kostin, Volodymyr Repik, et Valery Zufarov, à avoir documenté les premières heures de la catastrophe. Mais de ces instants, il ne reste que peu d’images d’archives.

Les conditions extrêmes, la pression des autorités soviétiques, et la radioactivité elle-même rendirent les conditions de prises de vues si difficiles que seules quelques images du réacteur et des « liquidateurs » ont pu être diffusées.

Anna Korolevska, directrice scientifique du musée national de Tchernobyl, précise que, pendant son survol de la centrale, « Anatoly Rasskazov a été exposée à une dose de radiations équivalente à 3 sieverts [l’unité de mesure de l’impact des rayonnements radioactifs sur un être humain] ». Une telle dose peut, selon les cas, être mortelle. « J’ai reçu l’ordre d’y aller, confiait Repik à l’agence américaine Associated Press, en 2011. Si j’avais pu, je n’y serais pas allé. »

Toujours le 26 avril, Igor Kostin arrive à Tchernobyl, envoyé par l’agence de presse russe Ria Novosti. Photojournaliste expérimenté, il rentre d’Afghanistan où il couvrait la guerre qu’y menait à l’époque l’URSS. Il survole à son tour la centrale, accompagné de ses confrères Repik et Zufarov. Au moment où s’ouvre la porte de l’hélicoptère, « une bouffée d’air chaud remplit la cabine. Aussitôt, j’avais envie de racler le fond de ma gorge », confiait-il au Monde, en 2011. L’exposition aux radiations fut si forte que l’un des trois photographes, Valery Zufarov, fut immédiatement transféré à l’hôpital.

Volodymyr Repik, à droite, et Valery Zufarov, à Tchernobyl, en 1986. | HO / ASSOCIATED PRESS

Images voilées

Alors que les photojournalistes prennent des images, les appareils photo s’enrayent. Et de retour au laboratoire, certaines images apparaissent comme voilées, comme si la pellicule avait été exposée en pleine lumière avant d’être traitée.

Comme la lumière, les rayonnements bêta, gamma, ou les rayons X, tels que ceux émis par le réacteur de la centrale de Tchernobyl, réagissent avec les ions argent contenus dans la pellicule photographique. Ces rayonnements transforment les ions en argent métallique, opérant comme si la pellicule était exposée à la lumière, même en restant confinés dans le boîtier d’un appareil photo. Cette particularité de la pellicule photographique sert d’ailleurs à mesurer le taux d’exposition des personnes qui doivent travailler en milieu radioactif, comme dans un service de radiologie ou de radiothérapie.

Quant aux clichés exploitables, ils ne sont pas immédiatement diffusés. Face à l’événement, la presse soviétique maintient le silence pendant plusieurs jours. Ce n’est que le 12 mai que la Pravda, le quotidien officiel soviétique du Parti communiste, diffuse une image de Volodymyr Repik, prise au-dessus de la centrale le 9 mai.

Malgré la « glasnost » (politique de transparence menée par Mikhaïl Gorbatchev, dirigeant de l’URSS depuis mars 1985), les autorités soviétiques maintiennent encore un discours qui se veut rassurant. La première conférence de presse n’a lieu que le 6 mai, et un communiqué du comité central du Parti communiste daté du 19 mai précise : « L’état du réacteur endommagé est rigoureusement contrôlé et ne suscite aucune crainte. »

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Dans les semaines qui suivent la catastrophe, les autorités soviétiques autorisent cependant Igor Kostin à suivre les travaux de décontamination. Le photographe passera deux mois aux côtés des 800 000 « liquidateurs » : ouvriers, paysans, soldats ou pompiers, envoyés de toute l’URSS pour nettoyer le périmètre irradié.

Comme les liquidateurs, les photographes ont conservé des séquelles de leur présence à Tchernobyl, ce printemps-là. Jusqu’à sa mort, Igor Kostin a gardé des problèmes de santé, de fréquents accès de déprime et « un goût de plomb entre les dents » dont il n’est jamais parvenu à se débarrasser.

Anatoly Rasskazov, lui, est mort en 2010, à l’âge de 66 ans, après avoir souffert pendant plusieurs années d’un cancer et d’une maladie du sang. Valery Zufarov est mort à l’âge de 55 ans, en 1996, d’une maladie contractée alors qu’il couvrait la catastrophe.

Quant à Igor Kostin, il faut le seul à se rendre sur le toit de la centrale durant l’été 1986, photographiant les liquidateurs ramassant le matériel radioactif pendant quelques secondes, avant de redescendre pour passer le relais à une autre équipe. Jusqu’à son décès, en juin 2015, il a continué à travailler sur la catastrophe, en suivant différentes victimes d’irradiation, et en retournant sur les lieux. Quant aux images qu’il a prises auprès des liquidateurs, elles portent des traînées blanches, traces de l’intense radioactivité qu’a entraînée la catastrophe.