L'écrivain Alexandre Jardin, coorganisateur de La Primaire des Français, à Reims, le 15 avril. | FRANCOIS NASCIMBENI / AFP

« Si on est plusieurs concurrents c’est qu’il y a un marché, une envie de renouveau. » Marie Durand-Smet ne parle pas de business, mais de politique. Le marché en question ? Celui des primaires, qui fleurissent un peu partout à l’approche de l’élection présidentielle. Mme Durand-Smet est chargée de « chasser les candidats crédibles » pour La Vraie Primaire, scrutin en ligne destiné à faire émerger une candidature citoyenne pour l’échéance de 2017. A l’origine du projet lancé le 21 mars, Emile Servan-Schreiber, entrepreneur spécialiste de l’intelligence collective, et Alexandre Malafaye, président du think thank Synopsia. « Le système est verrouillé, accaparé par les partis. La politique est devenue un métier. L’idée c’est de participer au renouveau », explique Mme Durand-Smet.

La Vraie Primaire n’est pas la seule initiative du genre, ni la première. LaPrimaire.org, qui poursuit le même objectif, a été lancée quelques mois plus tôt, en octobre, par Thibault Favre et David Guez, respectivement entrepreneur et avocat. Professionnalisation de la politique, déconnexion des élus, querelles idéologiques stériles, manque d’implication des citoyens, besoin de renouvellement… Le constat de départ est le même que chez les concurrents. « On s’est dit que la démocratie était malade et qu’il fallait la réparer, faire ce que l’on pouvait avec nos compétences », raconte M. Guez.

« L’objectif minimum est de redonner envie aux citoyens d’aller voter. Ensuite, c’est d’avoir un impact sur le débat d’idées, comme le fait Bernie Sanders qui oblige Hillary Clinton à se positionner sur certains sujets. L’idée, c’est de forcer les partis à se réinventer, pas forcément de gagner. »

« Gagner. » Jean-Marie Cavada le répète plusieurs fois, poing sur la table, quand on l’interroge sur le but de La Primaire des Français, dernier arrivé sur le marché des primaires citoyennes. Le projet, présenté comme l’initiative de mouvements citoyens, n’a pas été lancé par des novices de la politique. Sur la liste des organisateurs : Corinne Lepage, présidente de Cap21 et ancienne candidate aux élections présidentielles de 2002 et 2012, Nicolas Doucerain, président de Nous Citoyens, l’ancien journaliste et eurodéputé Jean-Marie Cavada, l’entrepreneur Claude Posternark, l’écrivain Alexandre Jardin et Jean-Baptiste Foucauld, ancien haut fonctionnaire et coordinateur du Pacte civique. « Le système est en train d’imploser ! Notre mouvement doit avoir pour but de reconstruire le pays », lâche sereinement Jean-Marie Cavada. Assis autour d’une table avec lui, les organisateurs parlent horizontalité, collaboration ou encore actions de terrain et raillent la politique traditionnelle des partis. La pétition qu’ils ont lancée a atteint 65 000 signatures, mais contrairement à leurs prédécesseurs, la troupe de La Primaire des Français n’a pas encore de plate-forme de vote.

Macron, Fillon et Pierre Rabhi plébiscités

LaPrimaire.org, elle, revendique environ 18 000 citoyens inscrits, qui peuvent soutenir des candidats déjà déclarés, mais aussi en proposer. Les organisateurs ont décidé de ne mettre aucune barrière idéologique. La « charte du candidat » énonce des règles minimales : casier judiciaire vierge, respect de la loi, comportement éthique… Aucune restriction pour les hommes déjà engagés dans la politique, par exemple. « C’est aux Français de choisir leur candidat, même si c’est Juppé ou Fillon » – dont les candidatures ont été proposées par des inscrits –, justifie David Guez. « Ils seront sans doute qualifiés, on ira les voir, mais je doute qu’ils viendront. »

Outre Alain Juppé et François Fillon, Nicolas Hulot, Christiane Taubira ou encore Emmanuel Macron ont par exemple été proposés par des internautes. Egalement sur la liste, l’économiste Frédéric Lordon et le journaliste François Ruffin, initiateurs de Nuit debout, mais aussi Pierre Rabhi, ou encore Alain Soral. Alexandre Jardin, Corinne Lepage et Nicolas Doucerain, organisateurs de La Primaire des Français, figurent également parmi les « candidats plébiscités » – c’est-à-dire les candidats proposés par d’autres internautes. En tête de ce casting, avec plus de 700 soutiens, on trouve Etienne Chouard, professeur et star du Web, défenseur du tirage au sort démocratique et, à l’occasion, défenseur d’Alain Soral.

Le site compte aussi plus de 110 candidats autodéclarés. Vétérinaire, associatif, avocat, maire adjointe de Rennes ou encore retraité : les profils sont variés – et plus ou moins sérieux. Dans la partie finances publiques de son programme, une candidate écrit par exemple : « Certaine qu’il y a du travail de ce côté, mais pas à même d’avoir un argumentaire construit, faute de connaissances sur le sujet. » Certaines propositions, cependant, sont plus sérieuses. L’instauration d’un revenu universel, la réduction du nombre d’élus, l’introduction de la proportionnelle ou encore le vote obligatoire reviennent régulièrement. « On a quelques farfelus mais les gens sont plutôt sérieux. Et puis il faut 500 soutiens pour valider sa candidature », affirme M. Guez. Un seul candidat déclaré y parvient pour le moment : Maxime Verner, 25 ans et président de l’Association des jeunes de France, déjà candidat à la présidentielle en 2012.

« Il faut qu’on soit d’accord sur certaines valeurs »

« Faisons les choses dans l’ordre, faisons émerger des personnes puis parlons des programmes », estime David Guez, critique à l’égard des critères mis en place par les autres primaires citoyennes. « Pourquoi interdire la candidature à des gens ayant exercé plus de douze ans de mandat précisément, par exemple ? », demande t-il en référence à La Primaire des Français, dont les organisateurs assurent que c’est un moyen de limiter l’expérience politique sans pour autant l’exclure. Sur la liste des critères de leur scrutin, on trouve également l’obligation d’avoir passé au moins cinq ans dans une entreprise ou une association et de déclarer son « attachement au principe fondateur de laïcité ». « Il faut qu’on soit d’accord sur certaines valeurs », explique Corinne Lepage, qui rappelle que les organisateurs s’engagent à accompagner le vainqueur du scrutin jusqu’à la présidentielle.

Si les organisateurs de La Vraie Primaire demandent simplement aux candidats de discuter d’une charte établie, qui propose, entre autres, d’instaurer un mandat unique pour le président et de gouverner par référendums et ordonnances, M. Guez s’interroge sur « le droit d’entrée » mis en place. En effet, pour prendre en compte une candidature, La Vraie Primaire demande 500 euros de frais de dossier. « Un moyen d’éviter de proposer des candidatures pour rire, se justifie Mme Durand Smet. Ça évite ce qu’il se passe avec LaPrimaire.org où il y a 140 candidats. Ça fait moins de buzz mais c’est du sérieux. Et puis, si on se présente et qu’on n’est pas capable de rassembler 500 euros, c’est qu’on n’a aucune chance pour la présidentielle. » Pour l’instant, seulement deux candidats sont déclarés : Edouard de Broglie (80 soutiens), décrit comme un « serial entrepreneur », et Mathieu Leporni (56 soutiens), « spécialiste du climat et des coopérations internationales ».

« On a vraiment ouvert la porte mais on n’a pas la même philosophie »

Même constat de départ, même finalité affichée mais des dissensions sur les modalités du scrutin et une certaine suspicion : les organisateurs des trois initiatives n’ont visiblement pas réussi à s’entendre et s’en renvoient la responsabilité. « On n’a rien à se reprocher de ce côté-là nous. On a vraiment ouvert la porte mais on n’a pas la même philosophie », affirme Mme Durand Smet, qui sous-entend que les organisateurs de LaPrimaire.org voudraient ensuite « vendre leur plate-forme ».

Du côté de LaPrimaire.org, on reproche à La Primaire des Français « des tactiques politiques ». « Il y a des organisateurs qui veulent être candidats, affirme M. Guez. C’est un jeu de dupes, tout ce qu’on réprouve. »

Alexandre Jardin, en effet, reconnaît être « très clair » sur sa candidature à la primaire qu’il coorganise, et n’y voit pas de problème. Interrogée sur la raison pour laquelle ils n’ont pas rejoint les initiatives déjà existantes, Corinne Lepage évacue le sujet : « Nous, nous sommes un mouvement, eux, ce sont des outils. » « Ils ont décidé de bâtir une plate-forme pour permettre de candidater mais ils n’ont pas de projet, de programme, d’idées ou d’expérience politique », renchérit Nicolas Doucerain. Si pour Alexandre Jardin, « la révolution positive commence », ce sera donc en ordre dispersé.