L’impact de l’âge d’or de Prince se fait sentir dans les tendances les plus inventives du R’n’B contemporain, qu’il s’agisse de Kanye West, The Weeknd, Miguel, voire de Rihanna | BRIAN SNYDER / REUTERS

Si la mort de Prince ne provoquera sans doute pas une onde de choc émotionnelle comparable à celle qu’a suscité la disparition de Michael Jackson (1958-2009), son impact auprès des musiciens pourrait être supérieur. Plus inventifs, audacieux, sulfureux et sexy que les productions œcuméniques jacksoniennes, les meilleurs disques de Prince dominent sur le plan de l’influence artistique ceux du « roi de la pop », même si ce dernier le dépasse largement en termes de succès commercial.

Ne raconte-t-on pas qu’en 1982, Quincy Jones, alors producteur de Michael Jackson, était entré en studio à la fin des sessions de Thriller, avec à la main une copie de l’album de Prince, 1999, sorti au même moment, en disant « il faut que vos synthés sonnent comme ça ! » ?

Rythmiques épurées et digitalisées

Innombrables à avoir été éblouis par la virtuosité et les performances scéniques du multi-instrumentiste de Minneapolis, les musiciens sont aussi pléthores à avoir été directement marqués par son influence, dans des genres aussi divers que pouvaient l’être les brassages stylistiques de ce génie hybride.

Dès la seconde moitié des années 1980, la façon dont Prince a épuré et digitalisé les rythmiques de ses chansons a une influence majeure sur rhythm’n’blues de l’époque, baptisé un temps « new jack swing », avec des artistes comme Bobby Brown, Janet Jackson – la sœur cadette de Michael –, puis R. Kelly ou Ginuwine.

Dans les années 1990, ce sont plutôt ses qualités d’instrumentiste et son falsetto qui sont des moteurs de la rénovation de la soul, ou néosoul, menée par des musiciens à la recherche d’émotions live et de sophistication harmonique tels D’Angelo, Bilal, The Roots, Macy Gray, Meshell Ndegeocello (ou Jamiroquai en Angleterre), tous fans déclarés du « purple one ».

L’avènement du hip-hop se nourrit également de l’influence de Prince à travers des samples de ses titres, des partis pris excentriques (Digital Underground), voire une fascination mimétique exercée, par exemple, sur le chanteur Andre 3 000, coleader du groupe Outkast.

Mariage entre rhythm’n’blues et electro

Parmi ses principaux disciples, recyclant après lui les mariages entre rhythm’n’blues et electro, deux unités de productions américaines qui révolutionnent le hip-hop et le R’n’B des années 1990 et 2000 : The Neptunes, formés par Chad Hugo et Pharrell Williams, et Timbaland (Jodeci, Missy Elliott…).

Les citations peuvent être littérales comme le tube I’m a Slave 4 U de Britney Spears (produit par les Neptunes) dupliqué à partir du Nasty Girl que Prince avait écrit et produit pour le groupe féminin Vanity 6, ou sublimé, tel le Drop It Like It’s Hot de Snoop Dogg, autre succès des Neptunes, revisitant le dépouillement radical de Sign « O » The Times.

Malgré deux dernières décennies pauvres en moments d’exception, l’impact de l’âge d’or princier est plus fort que jamais dans les tendances les plus inventives du R’n’B contemporain, qu’il s’agisse de Kanye West, The Weeknd, Miguel, voire de Rihanna (reprenant sur scène Darling Nikki). Des artistes comme Frank Ocean, Janelle Monae ou Lady Gaga, célébrant autant ses mélanges mutants que sa façon d’user d’une androgynie libératrice.

Des marques sur la scène française, aussi

Héritier de l’énergie fusionnelle de Sly & the Family Stone, le disciple de James Brown s’est autant nourri de la classe de Duke Ellington, de la science mélodique des Beatles, de la virtuosité charnelle de Jimi Hendrix, que de celle, plus intellectuelle, de Frank Zappa. En conséquence, son influence a largement débordé la sphère des musiques afro-américaines.

Le monde du rock puise ainsi depuis longtemps dans le vivier de ses musiques, de sa voix ou de ses looks. Que ce soit sur un mode hédoniste, à la façon des Red Hot Chili Peppers ou de Lenny Kravitz, en adeptes d’une fantaisie radicale, tels Beck et les groupes Ween, Metronomy, Of Montreal ou Dump, le projet du bassiste de Yo La Tengo. Des figures de l’« indie rock » pouvant aussi emprunter un versant plus cérébral, à la manière de St Vincent ou des Dirty Projectors.

Souvent Parisien d’adoption, Prince a aussi marqué la scène française, qu’il s’agisse de chansons rock – Jean-Louis Aubert, Axel Bauer… –, de funk clintonien (F.F.F.), electro (Daft Punk) ou pop (Phoenix). Récemment, on a entendu une dose de Prince chez Christine and the Queens et dans le duo afro-cubain-soul-electro d’Ibeyi, formé par les jumelles Lisa et Naomi Diaz. L’an dernier, lors d’un concert donné dans un club de Minneapolis, les jeunes Franco-Cubaines avaient d’ailleurs eu la surprise de voir la star assister à leur show, avant de venir faire causette dans les loges.

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Durée : 02:59