L’agriculture française a la main lourde sur les pesticides comme sur les engrais azotés. Cette tendance prononcée revient cher, et pas seulement aux exploitants. En conséquence, la pollution de l’eau, de l’air et des sols, ainsi que les émissions des gaz à effet de serre et les atteintes multiples à la biodiversité pèsent sur l’ensemble de la collectivité. A combien se chiffrent ces « externalités environnementales » ? Au bas mot plusieurs milliards d’euros, répond le Commissariat général au développement durable (CGDD), un service rattaché au ministère de l’écologie, qui s’est attelé à un complexe travail d’évaluation en s’appuyant sur des études réalisées par différents ministères.

L’exercice est forcément incomplet – il ne dit rien des dépenses de santé publique ni de l’impact de ces contaminations sur les océans par exemple –, mais édifiant. « Même si elle ne prend en compte que les coûts directs – déjà extrêmement importants –, cette étude confirme ce que martèlent les ONG : il est faux de prétendre que l’agriculture française produit une alimentation pas chère », commente François Veillerette de l’association Générations futures.

Extension du domaine des algues vertes

Championne, la France l’est d’abord par sa production : elle fournit 18 % de l’agriculture européenne. Elle l’est aussi pour sa consommation d’engrais minéraux azotés, qui représente 20 % des achats de l’Union européenne. Elle arrive de surcroît en deuxième position pour les produits phytosanitaires. Toutefois, elle recule de plusieurs places si l’on rapporte ces données à ses 19,2 millions d’hectares de terres arables.

Le gros problème tient à l’usage que « la ferme France », comme l’appelle le CGDD, fait de ces engrais. Sur les 2,2 millions de tonnes achetées en 2013, 1,5 million était en surdose, selon les deux auteurs de l’étude, Vincent Marcus et Olivier Simon. Qu’il soit manufacturé ou de nature organique – autrement dit issu des effluents d’élevage épandus sur les champs – l’azote est destiné en principe à améliorer les rendements des cultures. Mais une fois dépassée la dose que la plante peut absorber, il se disperse dans la nature. Or, les pertes atteignent 50 % dans l’Hexagone, et même parfois 80 % s’agissant de l’azote de synthèse. Du coup, chaque année, 600 000 tonnes se volatilisent dans l’air, tandis que 900 000 se dissolvent dans l’eau.

Commissariat général au développement durable

Commissariat général au développement durable

L’azote est à la base de la formation de nitrates, d’ammoniac – qui acidifie les forêts en retombant et s’agrège en particules fines, voire ultrafines – et de protoxyde d’azote (N2O), le « gaz hilarant ». Ce gaz est émis en faible quantité dans l’atmosphère, mais il est 298 fois plus puissant que le dioxyde de carbone pour l’effet de serre. Aussi les diffusions agricoles de N2O « constituent près de 10 % des émissions nationales de gaz à effet de serre », sans compter l’impact de la production et du transport de ces engrais.

Globalement, le rapport conclut que ce trop-plein coûte entre 0,9 milliard et 2,9 milliards d’euros, dont 220 millions à 510 millions d’euros en traitements supplémentaires pesant sur les services chargés de l’eau potable et de l’assainissement. L’étude n’intègre pas les quelque 2 millions d’euros du ramassage des algues vertes dopées par les nitrates, soit 50 000 à 100 000 mètres cubes chaque été. Le phénomène a largement débordé les côtes de Bretagne et pénalise désormais la conchyliculture – l’élevage de coquillages –, mais aussi le tourisme…

Commissariat général au développement durable

Commissariat général au développement durable

Pour les pesticides, l’évaluation se complique encore. Trop de molécules, trop de répercussions sur la santé – sur les agriculteurs en premier – et une contamination généralisée. Les rapporteurs s’en tiennent donc aux seuls surcoûts engendrés par la pollution de l’eau qu’ils situent entre 260 millions et 660 millions d’euros par an.

Pesticides : faible dose, même effet

Lors de la pulvérisation d’un phytosanitaire sur un feuillage, seulement 30 % à 50 % du produit atteignent la cible. Le reste ? Nous en respirons une partie. Une étude d’Airparif, l’agence de surveillance de la qualité de l’air en Ile-de-France, a par exemple détecté 80 substances différentes dans l’air au-dessus de Paris.

Le milieu aquatique est également très touché : 63 % des points de surveillance des eaux souterraines métropolitaines et 93 % de ceux des rivières en surface contiennent des pesticides, au moins une dizaine de substances différentes dans la majorité des cas. Officiellement, en 2014, sur 35 392 captages d’eau, 8,5 % ne respectaient pas les seuils autorisés ni pour les nitrates, ni pour les taux de pesticides. En quinze ans, plus de 2 000 points d’alimentation, trop pollués, ont été fermés.

Agences et office de l'eau -Eaufrance

Si l’on se fie aux tonnages, la consommation semble pourtant afficher une décrue depuis les années 1990 – 63 millions de tonnes vendues en 2011, contre 120 millions en 1999. En réalité, les pesticides récents n’ont besoin que de faibles doses pour être aussi efficaces que leurs prédécesseurs. Depuis 2009, les cultures reçoivent 5 % à 9 % de substances actives de plus chaque année.

Les ravages sur la biodiversité sont de plus en plus visibles. L’eutrophisation des lacs et des eaux côtières, c’est-à-dire leur suralimentation en azote, favorise l’apparition de bactéries toxiques et asphyxie les poissons. Les insectes, notamment les pollinisateurs, paient également un lourd tribut à ce modèle d’agriculture. Ces dégâts-là ne figurent pas non plus dans l’addition.

Le CGDD envisage d’autres externalités à ajouter, comme les bouteilles d’eau minérale achetées par les consommateurs. Ou encore « le coût des contentieux communautaires, passés ou éventuels à venir », que l’Europe risque fort d’infliger à la France, incapable de respecter les directives sur la qualité de l’eau.

Lire : Pollution aux nitrates : la France de nouveau condamnée par la justice européenne