La pilote ukrainienne Nadejda Savtchenko, le 9 mars 2016, pendant son jugement au tribunal de Donetsk, ville ukrainienne aux mains des Russes. Elle a été reconnue coupable du meurtre de deux journalistes russes le 21 mars. | AP

La militaire ukrainienne Nadejda Savtchenko, détenue depuis juin 2014, a été libérée par la Russie, mercredi 25 mai. Elle a été échangée contre deux militaires russes présumés, condamnés en avril à Kiev à 14 ans de prison pour leur participation à des combats dans l’Est de l’Ukraine.

Au terme d’un procès long de six mois, la pilote de 35 ans avait été condamnée, le 22 mars, à vingt-deux ans de prison et à une amende de 30 000 roubles (394 euros). Ce procès était devenu un emblème du conflit russo-ukrainien, et a progressivement attiré l’attention de la communauté internationale.

  • Qui est Nadejda Savtchenko ?

Agée de 35 ans, Nadejda Savtchenko est pilote d’hélicoptère dans l’armée ukrainienne, où elle a le grade de capitaine. Elle commence sa carrière en Irak en 2004 et devient, cinq ans plus tard, la première femme diplômée de la prestigieuse école d’aviation de Kharkiv. Originaire de Kiev, la jeune femme participe au soulèvement de Maïdan contre le président Viktor Ianoukovitch.

Après l’annexion de la Crimée et les débuts de la guerre dans l’est du pays, elle quitte les rangs de l’armée et rejoint le bataillon Aïdar, une unité paramilitaire de volontaires armés. Ce bataillon fut accusé, notamment par Amnesty International, de plusieurs exactions sur des civils.

  • Pourquoi est-elle accusée de meurtre en Russie ?

Nadejda Savtchenko a été capturée le 17 juin 2014, à une époque où les combats dans le Donbass étaient intenses. Elle réapparaît le 8 juillet dans le centre de détention de la ville russe de Voronej.

Le gouvernement russe l’accuse de la mort de deux journalistes de la radio-télévision publique, Igor Korneliouk et Anton Volochine, tués par un tir de mortier près de la ville de Metalist, dans la région de Louhansk. Selon l’accusation, c’est Nadejda Savtchenko qui aurait fourni la position des deux hommes aux artilleurs de l’armée ukrainienne.

Elle comparaît depuis septembre 2015 devant le tribunal de Donetsk, capitale du Donbass, dans l’Est séparatiste ukrainien à la frontière avec la Russie. Présentée comme « coexécutrice d’un meurtre prémédité », elle encourt jusqu’à vingt-trois ans de prison.

  • Kidnappée illégalement ou arrêtée en territoire russe ?

Nadejda Savtchenko nie en bloc une quelconque implication dans le meurtre des deux journalistes. Selon ses avocats, les données enregistrées dans son téléphone portable indiquent que la jeune femme avait déjà été capturée à l’heure de la mort des deux journalistes.

La pilote affirme aussi avoir été kidnappée par les rebelles, en territoire ukrainien, avant d’être livrée aux autorités russes.

Pour Moscou, à l’inverse, elle aurait été arrêtée en territoire russe alors qu’elle tentait de traverser illégalement la frontière, peu après la mort des journalistes, en se faisant passer pour une réfugiée.

Pourquoi une Ukrainienne, ancienne militaire, aurait-elle voulu passer la frontière du pays ennemi ? L’accusation n’a pas répondu à cette question.

  • Héroïne nationale ou incarnation du mal ?

En Russie, Nadejda Savtchenko a été victime de campagnes de presses très dures, accusée d’être une néonazie, voire qualifiée dans certains magazines de « fille de Satan ». En Ukraine, elle est, à l’inverse, devenue un symbole national.

Le président ukrainien, Petro Porochenko, lui a attribué la distinction d’« héroïne de l’Ukraine ». En octobre 2014, le parti de l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko l’a placée en tête de sa liste pour les élections législatives.

Nadejda Savtchenko a été élue députée en son absence, et Kiev l’a nommée parmi les membres de la délégation ukrainienne à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

La détermination affichée par la détenue n’est pas étrangère à l’immense popularité dont elle jouit en Ukraine. Lors des audiences, Nadejda Savtchenko s’en prend régulièrement à la « lâcheté » de ses juges et dresse de véritables réquisitoires contre les autorités russes.

Avant l’ouverture de son procès, elle avait fait une grève de la faim de plus de quatre-vingts jours. Action qu’elle a renouvelée le 4 mars y ajoutant, pendant quelques jours, le refus de s’hydrater.

Lors de sa dernière déclaration, le 10 mars, la jeune femme a lancé un spectaculaire bras d’honneur à ses juges en entonnant l’hymne national ukrainien, Chtche ne vmerla Ukraïna (« L’Ukraine n’est pas encore morte »).

  • Un soutien international croissant

Le procès de Nadejda Savtchenko a progressivement débordé du cadre du conflit russo-ukrainien et attiré l’attention de la communauté internationale. Les Etats-Unis et l’Allemagne ont, les premiers, affiché leur soutien à la pilote, suivis par l’Union européenne.

Parallèlement, cinq Etats de l’UE – Lituanie, Grande-Bretagne, Pologne, Roumanie et Suède – ont appelé Bruxelles à sanctionner les responsables russes impliqués dans le procès.

Enfin, trois Prix Nobel de littérature, dont la Biélorusse Svetlana Alexievitch, ont adressé une lettre aux dirigeants européens pour les pousser à agir. Plusieurs associations de défense des droits de l’homme, dont l’organisation non gouvernementale russe Memorial, la considèrent comme une prisonnière politique.

  • D’autres prisonniers ukrainiens en Russie

Une vingtaine d’autres Ukrainiens sont emprisonnés en Russie, le plus souvent sur la base de charges très fragiles. Parmi eux, le cinéaste Oleg Sentsov ou encore le militant d’extrême gauche Alexandre Koltchenko, condamnés respectivement à vingt ans et dix ans de travail forcé.

Les deux hommes avaient été arrêtés en Crimée en mai 2015 et accusés d’avoir organisé des attaques terroristes dans cette région annexée par la Russie deux mois auparavant.

Stanislav Klikh et Nikolaï Karpiouk ont quant à eux été reconnus coupables, le 19 mai, de meurtres qu’ils auraient commis pendant la première guerre de Tchétchénie, au milieu des années 1990. D’autres sont accusés d’espionnage, comme Iouri Solochenko. A 73 ans, cet ancien directeur d’une usine travaillant pour la défense ukrainienne a été condamné à six ans de prison pour espionnage.