Des manifestants chantent l'hymne du club de Liverpool, « You’ll never walk alone », à Liverpool, mercredi 27 avril 2016, pendant un hommage aux victimes de la tragédie du stade d’Hillsborough. | PAUL ELLIS / AFP

Vingt-sept ans après, l’une des plus grandes tragédies que le Royaume-Uni ait vécue en temps de paix au XXe siècle a connu, mercredi 27 avril, une sorte de dénouement dans les rues de Liverpool : 30 000 personnes, dont beaucoup en larmes, s’y sont rassemblées pour saluer la mémoire des 96 supporteurs de football morts écrasés le 15 avril 1989 lors de terribles bousculades au stade de Hillsborough à Sheffield (nord de l’Angleterre).

Brandissant des écharpes rouges « Liverpool FC » et d’autres frappées du simple mot « Justice », ils ont chanté avec ferveur l’hymne mythique du club, « You’ll never walk alone » (« Tu ne marcheras jamais seul »). Une mélodie devenue le symbole d’une lutte pour l’honneur des victimes longtemps accusées d’être responsables d’une catastrophe en réalité causée par l’impéritie des services de police.

« Homicide par imprudence »

La veille, un jury qui siégeait depuis deux ans à Warrington avait rendu sa décision : les supporters de Liverpool qui ont alors trouvé la mort n’ont pas été victimes d’un accident, comme la première enquête l’avait conclu en 1991. David Duckenfield, commissaire de police principal du Sud du Yorkshire à l’époque, a été reconnu « responsable d’homicide par imprudence » du fait d’un manquement à son obligation de protéger, lors de cette demi-finale de la Coupe d’Angleterre opposant Liverpool à Nottingham Forrest.

Des familles de victimes à l'annonce du verdict à Warrington, mardi 26 avril 2016. | PHIL NOBLE / REUTERS

La décision ne vaut pas condamnation : mettant un terme à plus de deux décennies de mensonges policiers souvent couverts par les politiques, elle se contente d’établir les faits et de rendre possibles des poursuites pénales contre les auteurs. Mais dès mercredi, l’actuel chef de la police locale, David Crompton, a été suspendu de ses fonctions par l’autorité locale de police élue, en raison de la « perte de confiance » dont il faisait l’objet de la part de la population. Immédiatement après la décision du jury, mardi, M. Crompton avait admis que la gestion policière du drame avait été « catastrophiquement mauvaise ». Mais les habitants ne lui pardonnent pas d’avoir à plusieurs reprises tenté de minimiser la responsabilité des forces de l’ordre.

Le chef de la police locale a admis que la gestion policière du drame a été « catastrophiquement mauvaise »

Scandale policier ponctué d’impasses judiciaires et de silences politiques, l’affaire des 96 d’Hillsborough apparaît aussi comme emblématique de la violence des rapports sociaux pendant les années Thatcher (1979-1990). Les supporters, dont 37 adolescents, étaient morts écrasés dans deux enclos grillagés où les spectateurs les moins fortunés étaient alors parqués debout (ces espaces ont été supprimés depuis lors). Alors que ces enclos étaient déjà saturés, la police avait ouvert un nouvel accès, provoquant l’écrasement des spectateurs contre les grillages. Obsédés par les hooligans et le risque d’invasion du terrain, les agents avaient refoulé ceux qui tentaient de s’échapper du piège ainsi formé.

Photo d'archive montrant des personnes portant secours à des blessés dans le stade de Hillsborough, le 15 avril 1989. | AP

Embarras du « Sun »

La lutte acharnée des familles des victimes pendant plus d’un quart de siècle et leur difficulté à financer leur défense reflètent aussi les inégalités face à la justice britannique. Mardi, les avocats ont salué une décision qui « justifie totalement la longue lutte des familles pour la justice ».

Enorme bavure dans le contrat social, la tragédie de 1989 a laissé des traces. Mercredi, le tabloïd The Sun a été, avec les premières éditions du Times, lui aussi propriété du groupe Murdoch, le seul quotidien britannique à ne pas mettre à la « une » la décision du jury accusant la police, qui bouleverse le pays.

Le 19 avril 1989, quatre jours après la tragédie, le journal avait commis l’une des manchettes les plus honteuses de son histoire. Barrée d’un titre énorme « La vérité », sa « une », sur la base des déclarations d’un fonctionnaire de police anonyme assurait que les supporters de Liverpool étaient des pickpockets avinés qui avaient forcé l’entrée, uriné sur des policiers et même des cadavres.

La "une" du journal The Sun du 19 avril 1989. | The Sun

Vingt-sept ans ont été nécessaires pour établir et faire reconnaître officiellement que la police avait modifié les témoignages de plusieurs de ses agents présents sur les lieux du drame afin de se disculper, et que les poches de certaines victimes n’étaient pas « remplies de portefeuilles », comme le Sun l’avait assuré. Le quotidien s’est excusé à plusieurs reprises. Mais près de trois décennies après le drame, le tabloïd fait toujours l’objet d’une virulente campagne de boycott à Liverpool.

Un autocollant incitant à "ne pas acheter The Sun" en souvenir de la tragédie du stade d’Hillsborough. | Karen_O'D