Carlos Ghosn, le patron de Renault, et Emmanuel macron, le ministre de l'économie, à Sandouville le 30 septembre 2014. | CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Les noctambules de la place de la République ne sont pas les seuls à rêver d’une hypothétique convergence des luttes. Voilà que, désormais, actionnaires, salariés et Etat se rejoignent sur un sujet : la rémunération excessive des PDG, et particulièrement celle du patron de Renault, Carlos Ghosn. Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, est en effet monté hier au créneau pour soulever un « dysfonctionnement en matière de gouvernance » chez Renault.

Le conseil d’administration du constructeur, qui s’est tenu vendredi 29 avril, a choisi de ne pas tenir compte du vote négatif des actionnaires, qui s’est prononcé à 54 % contre le salaire du PDG. Comme un seul homme, les administrateurs ont avalisé la fiche de paie 2015 : 1,2 million d’euros de salaire fixe et 7,2 millions en comptant la part variable. Tout cela sans compter les quelque 8 millions au titre de son autre casquette de PDG de Nissan.

Ce énième épisode de la guerre des salaires des patrons soulève deux problèmes bien distincts. Le premier – et le plus facile à résoudre – est celui de la mesure. Le PDG est-il réellement payé en fonction de ses performances et de celle du cours de Bourse ? En théorie, c’est la seule question qui devrait intéresser les actionnaires.

Certaines décisions du patron ont un impact fort sur le cours de l’action. Comme le souligne l’hebdomadaire The Economist, le PDG de Google, Sundar Pichai, est peut-être payé 200 millions de dollars (174 milllions d’euros) par an, mais la Bourse peut l’accepter si l’une de ses décisions aboutit à une hausse de 1 % du cours du titre, qui rapporterait à elle seule 5 milliards de dollars aux actionnaires. En résumé, quand la Bourse va bien, les actionnaires se fichent bien du montant du salaire du chef. Pour eux, le patron est leur représentant, leur « agent » au sein de l’entreprise.

Sentiment de déclassement

Il en va bien autrement du reste de la société, qui apprécie différemment le rôle du patron, et le montant de sa paye. Quand elle atteint 764 fois le smic, comme dans le cas de Carlos Ghosn en 2015, dans un contexte d’économie en berne et de chômage de masse, la pilule est difficile à avaler. D’autant que ce niveau est totalement aléatoire. Le salaire du patron de Toyota, plus belle entreprise du secteur, est presque dix fois inférieur à celui de ses collègues américains, et la rémunération de Carlos Ghosn est supérieure de quatre fois à la médiane de celle de ses collègues européens, selon les études du cabinet Proxinvest.

Le niveau n’est justifié ni par le talent ni par la compétition, mais par les circonstances. Ce qui n’enlève rien au savoir-faire de Carlos Ghosn, qui a redressé Renault de main de maître ces dernières années. Le niveau des inégalités et le sentiment de déclassement, qui soulève les foules dans le monde entier, se nourrissent de cette divergence fondamentale qui devient soudain illégitime. Un retour à la raison serait hautement salutaire, et il n’est pas certain que l’autodiscipline y suffise à elle seule.

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