Des discussions qui s’annoncent tendues. La ministre du travail, Myriam El Khomri, reçoit jeudi 3 mars le patron de la CGT, Philippe Martinez, puis celui du Medef, Pierre Gattaz, pour évoquer le projet de loi de réforme du code du travail et les amendements qui pourraient y être apportés. Le gouvernement s’est dit prêt à revoir « les curseurs » de certaines mesures, mais pas la philosophie générale de la réforme.

Au même moment, deux intersyndicales successives sont prévues pour tenter d’unifier les revendications. Après avoir réussi à faire reculer le gouvernement, qui a repoussé de quinze jours l’examen du projet de loi en conseil des ministres, les opposants tentent maintenant de peser sur la nouvelle mouture du texte.

  • Des syndicats mobilisés mais divisés

Philippe Martinez (CGT) et Jean-Claude Mailly (Force ouvrière), le 19 janvier 2015. | PHILIPPE WOJAZER / Reuters

« Projet de loi inacceptable » pour la CGT, « un texte très déséquilibré » pour la CFDT ou encore un projet de loi qui « vaut une grève » pour Force ouvrière (FO) : le projet de réforme du code du travail fait l’unanimité contre lui au sein des syndicats.

Fait rarissime, ils ont quasiment tous signé un texte, hormis la CFTC et FO, la semaine dernière pour réclamer des modifications au projet de loi. Retrait du plafonnement des indemnités prud’homales lors de licenciements abusifs, suppression du régime dérogatoire aux 35 heures ou disparition des nouvelles dispositions relatives au licenciement économique… Les revendications ne manquent pas.

Profitant de cette unité retrouvée, les syndicats se sont rencontrés pour deux réunions le 3 mars. Une première a eu lieu jeudi matin au siège de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) à Bagnolet. Mais à l’issue de cette rencontre, les divisions ont ressurgi. Sur la dizaine de représentants présents, seuls cinq (la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, l’UNSA et la FAGE, syndicat étudiant) se sont accordés sur une liste de modifications du projet de loi réformant le code du travail dont ils feront part au gouvernement.

Dans une déclaration commune, ils affirment que ce projet de loi « ne doit pas être seulement ajusté, mais impérativement modifié en profondeur, afin de le rééquilibrer en faveur des salariés ». Ils apellent à une manifestation « dans toute la France le samedi 12 mars ».

Mais pour la CGT, « le texte n’est pas signable. il est trop flou et interprétable comme on veut ». Une seconde réunion s’est déroulée dans l’après-midi au siège de la CGT à Montreuil. A l’issue de celle ci, la CGT, FO, Solidaires et FSU ont appelé à une grève et à des manifestations le 31 mars.

Ces actions se rajoutent à la manifestation prévue le 9 mars à l’appel d’une vingtaine d’organisations de la jeunesse et de syndicats.

  • Des syndicats étudiants à la pointe de la contestation

Les étudiants vont-ils prendre la rue ? C’est une mobilisation politique à hauts risques qui se profile pour l’exécutif. Dix ans après les manifestations contre le contrat premier embauche (CPE), les syndicats étudiants font partie des opposants les plus virulents à la réforme du code du travail. L’UNEF, représentant les étudiants et marqué à gauche, et l’UNL, syndicat lycéen, vont même participer aux réunions de jeudi avec les syndicats.

Une vingtaine d’associations de gauche représentant lycéens, étudiants et militants appellent également à participer à la journée d’action prévue le 9 mars en compagnie des syndicats. « A travers le projet de la loi travail, le gouvernement vient de déclencher une guerre sans précédent contre les jeunes et les salariés », lit-on dans leur communiqué commun, signé notamment par l’UNEF, le Mouvement des jeunes socialistes, la Jeunesse ouvrière chrétienne ou encore les Jeunes écologistes.

L’UNEF a appelé les étudiants à se mobiliser « jusqu’au retrait total et entier du projet de loi ». Marthe Corpet a détaillé :

« Nous appelons à une journée d’actions en France [le 9 mars] et à un rassemblement place de la République à Paris à 14 heures avec les cheminots de la SNCF et de la RATP. »

La Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL) appelle pour sa part les lycéens à sortir le 9 mars les tables de leurs classes pour les mettre devant leurs établissements. L’autre grande association étudiante, la FAGE, prévoit de réunir ses cadres les 5 et 6 mars afin de « décider des moyens d’action ».

Invitée de France 2 jeudi matin, la ministre du travail Myriam El Khomri trouve « absurde que les jeunes aient peur de cette loi. Cette loi est faite pour que les jeunes […] puissent rentrer plus facilement sur le marché du travail en étant en CDI. »

  • Martine Aubry prend la tête de la fronde au sein du Parti socialiste

Jean-Christophe Cambadélis et Martine Aubry, le 23 janvier 2015 à Lille. | DENIS CHARLET / AFP

Une mobilisation qui s’étend au-delà des frondeurs habituels du Parti socialiste. Le projet de réforme du code du travail passe mal au sein du PS. Un des chefs de file des frondeurs, le député de la Nièvre Christian Paul, a annoncé qu’il participera à la manifestation du 9 mars :

« Pour la première fois depuis 2012, la gravité de la situation sociale et le caractère très toxique [du projet de loi El Khomri] me conduiront avec beaucoup d’autres à être solidaires de ces mouvements et d’y participer. »

Même le premier secrétaire du parti, Jean-Christophe Cambadélis, a critiqué un texte qui « doit être rééquilibré ».

Mais la charge la plus virulente est venue de Martine Aubry. Dans une tribune publiée dans Le Monde et cosignée par une vingtaine de personnalités de gauche, la maire de Lille exprime sa « colère » devant ce texte :

« C’est toute la construction des relations sociales de notre pays qui est mise à bas en renversant la hiérarchie des normes. […] Que le patronat institutionnel porte ces revendications, pourquoi pas, même si elles nous paraissent en décalage avec ce que nous disent les entreprises sur le terrain. Mais qu’elles deviennent les lois de la République, sûrement pas ! Pas ça, pas nous, pas la gauche ! »

La gauche de la gauche tire également à boulets rouges sur le projet de loi. Du côté du Parti communiste (PC), le porte-parole Olivier Dartigolles dénonce un texte qui est « devenu le symbole des attaques visant la dignité humaine, les droits, les conquêtes sociales et démocratiques ». Le PC, qui demande le retrait du projet de loi, appelle à la mobilisation le 9 mars.

Le ton est le même chez Jean-Luc Mélenchon. Sur son blog, le candidat à la présidentielle de 2017 estime que ce texte va « mettre la vie quotidienne des salariés en miettes » et « ne créera pas un seul emploi ».

De l’autre côté de l’échiquier politique, le Front national s’oppose également à ce projet de loi. Dans un communiqué de presse, Marine Le Pen estime que ce texte « ne réglera rien les difficultés économiques des TPE et des PME. […] Elle rendra, en revanche, possibles de lourdes régressions sociales pour les salariés. »

  • La société civile se fait entendre en ligne

Le million n’est plus très loin. Lancée, entre autres, par la militante féministe Caroline de Haas, sur le site Change.org, la pétition « Loi travail : non merci ! » recueille jeudi près de 920 000 signatures.

Les initiateurs de la pétition appellent également à manifester le 9 mars et ont recensé une centaine de rassemblements prévus en France ce jour-là.

Télézapping réforme du code du travail : la gauche plus que jamais divisée
Durée : 02:11
Images : BFMTV, France Info, Europe 1, Public Sénat