Même s’il a survolé la France, le « nuage radioactif » de Tchernobyl n’a que très peu contaminé les sols français et n’est pas à l’origine d’une augmentation des cancers de la thyroïde. | Volodymyr Repik / AP

Le « nuage radioactif » venu d’Ukraine ne s’est certes pas arrêté à la frontière, comme l’assuraient avec aplomb les autorités françaises dans la foulée de l’accident nucléaire qui secoua l’Europe le 26 avril 1986, mais il n’a eu que peu de conséquence sanitaire, contrairement à la croyance populaire ancrée depuis trente ans.

La progression du nuage de Tchernobyl en une minute
Durée : 01:07

Pourquoi ? Deux éléments permettent d’expliquer les faibles conséquences sanitaires : le niveau de contamination des sols et de l’air en France et l’amélioration du diagnostic du cancer de la thyroïde.

La contamination radioactive en France est restée faible

Le survol du nuage radioactif de Tchernobyl du 30 avril au 3 mai a diffusé dans l’air et sur les sols français un certain nombre d’éléments radioactifs tels que l’iode 131 ou le césium 137. Une reconstitution des dépôts de césium 137 réalisée d’après les relevés de mai 1986 montre que la France a été inégalement touchée par ces dépôts. Les deux tiers ouest du pays ont une radioactivité comprise entre 0 et 2 000 becquerels par mètre carré (Bq/m²), tandis que tout l’est français monte à des taux allant de 2 000 à 20 000 Bq/m², certaines zones allant jusqu’à 40 000 Bq/m².

Taux de césium 137 relevés en France en mai 1986. | IRSN

Le becquerel, le sievert : qu’est-ce que c’est ?

Le becquerel est l’unité qui mesure la radioactivité de la matière : un becquerel correspond à une désintégration par seconde pour une quantité de matière donnée.

Une désintégration se produit lorsque le noyau d’un atome instable se transforme en un noyau plus stable en émettant une ou plusieurs particules énergétiques. Par exemple, le potassium 40 présent dans notre corps est instable et se transforme lentement en calcium 40 la plupart du temps, ou en argon 40.

Le sievert est une autre unité qui mesure l’impact d’une dose radioactive reçue par le corps humain. Chaque Français reçoit en moyenne une dose de 3,7 millisievert (mSv) du fait de la radioactivité naturelle et des examens médicaux (scanner, radiologie, etc.). La dose de radioactivité artificielle permise annuellement pour la population française s’élève à un millisievert, tandis que la dose légale pour les travailleurs du nucléaire s’élève à 20 mSv.

Les relevés sur les aliments (légumes, viande, lait, etc.) ont montré une radioactivité allant jusqu’à 1 000 Bq/kg, selon le Service central de protection contre les rayonnements ionisants. L’association Criirad assurait quant à elle avoir relevé à l’automne 1987 une radioactivité de 24 000 Bq/kg dans certains champignons.

Si de tels taux sont supérieurs aux taux de radioactivité naturels, ils restent toutefois très faibles et insuffisants pour poser un problème sanitaire. A titre de comparaison, la radioactivité naturelle dégagée par un corps humain de 70 kg est d’environ 8 500 becquerels. Nous recevons donc plus de radioactivité naturelle provenant de trois corps humains avoisinants qu’en ingérant un kilogramme de champignons parmi les plus contaminés de France en 1987.

Certains endroits en France restent toutefois plus radioactifs que la moyenne en raison de dépôts accumulés. C’est le cas de certaines zones montagneuses des Alpes, où la Criirad a mesuré une radioactivité allant jusqu’à 154 000 Bq/m². Une exposition de plusieurs heures à une telle radioactivité se traduit par une dose non négligeable équivalente à plusieurs semaines de radioactivité naturelle.

Il y a plus de cancers de la thyroïde car nous savons mieux les diagnostiquer

Le bilan sanitaire de l’accident de Tchernobyl est très difficile à établir. Le territoire français ayant été exposé à des niveaux faibles de radioactivité, il est très compliqué de lier les dépôts radioactifs causés par Tchernobyl avec une explosion du nombre de cancers, et notamment du cancer de la thyroïde, cette glande située à la base du cou fixant l’iode radioactif émis lors d’accidents nucléaires.

Ce cancer, relativement rare il y a 25 à 30 ans, a beaucoup augmenté depuis, en France et dans le monde, atteignant dans l’Hexagone une progression annuelle des cas de 7 %. En 2015, on a diagnostiqué 10 100 nouveaux cas de cancers de la thyroïde (7 317 chez les femmes et 2 783 chez les hommes), selon l’Institut de veille sanitaire (InVS).

Si l’augmentation de ce cancer est indéniable, une grande partie des nouveaux cas n’est due ni au nuage radioactif ni à la radioactivité, mais à l’amélioration des diagnostics : nous détectons plus et mieux de cancers de la thyroïde qu’avant. La glande thyroïde est mieux et plus régulièrement surveillée et plusieurs examens permettent de dépister ce cancer de façon précoce, précise et complète. En France, l’InVS estime que 59 % des nouveaux cas de cancer de la thyroïde chez les hommes et 68 % chez les femmes sont directement dus à l’amélioration des diagnostics.

Les observations cliniques indiquent d’ailleurs que les populations recourant à plus de soins sont le plus touchées par l’augmentation des cas de thyroïde, confirmant la thèse du surdiagnostic : plus on diagnostique les populations, plus on trouve de cas de petits cancers de la thyroïde, qui ne mèneront d’ailleurs pas forcément à une expression clinique et donc pathologique.

Le nuage radioactif de Tchernobyl a-t-il pu provoquer des cancers ?

C’est possible. L’InVS estime que, statistiquement, Tchernobyl a pu provoquer dans l’est de la France entre 7 et 55 cancers de la thyroïde entre 1991 et 2015. Mais il rappelle que dans une population non exposée aux facteurs de risque connus, l’incidence spontanée du cancer serait d’environ 900 cas. Cela signifie que le nombre de cancers directement imputables à Tchernobyl est trop faible pour qu’on puisse clairement faire un lien.

D’autant que les départements français les plus touchés par ce cancer ne sont pas ceux ayant reçu les doses les plus importantes de matière radioactive en mai 1986. Le Bas-Rhin et le Haut-Rhin présentent tous les deux une incidence faible du cancer de la thyroïde alors même qu’ils ont été parmi les plus touchés par les dépôts radioactifs. A l’inverse, la Gironde ou la Vendée n’ont été que très peu touchées par le nuage mais présentent tout de même plus de cas de cancer de la thyroïde.

l’InVS souligne par ailleurs que l’augmentation des cas de cette pathologie a commencé au début des années 1980, avant l’accident de Tchernobyl, et s’est poursuivi après au même rythme.

Les études de l’InVS ne concluent pas que le lien entre les dépôts dus à Tchernobyl et les cancers de la thyroïde n’existe pas, mais il est pratiquement impossible d’en établir par le biais d’une étude épidémiologique.