Thibault Petit, à Paris, le 25 mars. | Pascale Kremer/Le Monde

C’est sur le réseau social Twitter que Thibault Petit s’est rappelé à notre bon souvenir. « Bonjour. Vous souvenez-vous de cet article ? (“La réussite des bacs pro, gageure pour l’université”) C’est assez drôle de le relire arrivé en master ! » Un message que l’on sentait empreint de fierté. Pied de nez au destin que lui traçait la statistique, et à l’article de presse qui s’en faisait l’écho.

Ce costaud de 22 ans, yeux bleus et cheveux en brosse, nous l’avions interviewé à l’université de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) en septembre 2012, peu après la rentrée. Le corps enseignant tentait alors de s’adapter à l’afflux de jeunes gens issus de bacs professionnels et technologiques – évincés des BTS et IUT par leurs congénères de la filière générale. Thibault Petit, un bachelier pro « hôtellerie-restauration » inscrit en licence d’histoire par goût des batailles napoléoniennes, était de ceux-là. De ces étudiants qui « partaient de plus loin » que les autres, « d’autant que s’ils ont fait un bac pro, c’est souvent qu’ils avaient des difficultés d’apprentissage avant le lycée », comme soulignait Didier Desponds, vice-président de l’université. Et, pour lester le propos, de mentionner l’implacable hécatombe : « Le taux de réussite des bacs pro avoisine les 0 % dans à peu près toutes les filières. »

27 septembre 2012. La date de parution de l’article est ancrée dans la mémoire de Thibault. Ce fut celle de sa « réaction d’orgueil », comprend-il a posteriori. « A partir de là, je me suis vraiment mis à bosser. Je n’ai pas supporté cette idée reçue sur les bacs pro bas de plafond. Fallait que je leur donne tort. » Trois années ont passé, et c’est chose faite. A toute vitesse, il évoque devant un café son master 1 de recherche historique en cours, sa perspective de master 2 l’an prochain, et pourquoi pas la thèse dans la foulée, avec l’assurance de celui qui a su déjouer la fatalité.

Thibault a été ce collégien que « tout barbait », que sa mère traînait comme un boulet dans les salons de l’orientation, redoublant une troisième passée en plongée dans les jeux vidéo, puis expédié en filière hôtellerie-restauration puisqu’il n’avait rien contre, après trois jours de boulot chez le petit traiteur du coin. « Comme pas mal de monde, j’étais l’élève “Peut faire mieux mais ne le fait pas” », dit-il. Il apprend la cuisine et le service en salle, trouve tout cela « physique » mais s’en sort, peut-être parce qu’il aime bien le contact avec les clients servis en stage, pourtant pas toujours aimables. Mais il ne s’imagine pas une vie de chef de rang dans un restaurant.

Jeux vidéo, Alain Decaux et le « Napoléon » de Clavier

Pour y échapper, « gagner du temps », reconnaît-il aujourd’hui, il y aura donc l’histoire. La seule matière où il ait jamais brillé en cours. « J’ai toujours adoré, l’histoire de l’armée notamment. Cette idée de puissance nationale, sans être nationaliste, me fascine. J’aurais même pu m’engager, si je n’avais pas autant de mal à me lever tôt… » Sa culture historique, au moment de l’entrée en fac ? Le contexte antique ou médiéval de ses jeux vidéo et BD préférés, les commentaires des défilés du 14 juillet, les livres d’Alain Decaux dans la bibliothèque familiale, le téléfilm sur Napoléon avec Christian Clavier… Cette énumération le fait sourire aujourd’hui. « C’est grand public, mais tout part de là. »

Arrivé à l’université de Cergy, il n’a aucune idée du taux de réussite des bacheliers pro (« On nous l’a peut-être dit, mais je ne voulais pas l’entendre »), ne saisit aucune offre de remise à niveau. Il veut être « comme les autres ». « Ne pas refaire le lycée, apprendre des choses nouvelles. » Résultat : le voilà « un peu largué », à suivre des cours sur le multilatéralisme et l’histoire de l’Europe, la géopolitique, le keynésianisme… Lui qui n’a « jamais fait d’économie, ni de disserte, en tout cas rien de plus long que le paragraphe argumenté du collège ». Au premier partiel de géographie, il rend un plan apparent, avec des 1, 2, 3… « La prof m’a expliqué très gentiment qu’il ne fallait pas procéder comme cela. Je ne lui ai pas dit que c’était ma première disserte. »

Se fondre parmi les apprentis historiens de première année de licence. Profiter du cours « Etudes documentaires et méthodologie », et des travaux dirigés, pour intégrer peu à peu les règles de la dissertation. « A Cergy, ce qui est bien, c’est qu’on nous a tous mis dans le même bateau. Moi j’avais faim, j’avais la rage. Et cette fois, je m’y suis mis parce que ça me plaisait d’aller en cours, de relire mes notes, de ficher. » Le premier semestre est validé de justesse, le second au rattrapage, mais cela passe.

« La motivation fait que cela marche »

La deuxième année est moins ardue. La troisième, un plaisir. Il y a de l’histoire militaire au programme… Un exposé, en TD, sur cette bataille d’Austerlitz qu’il connaît jusqu’au moindre mouvement, lui vaut des compliments. « En faisant le service, j’ai appris à m’exprimer devant les gens, ça, c’est une chose que les autres n’ont pas ! » Arrivé en master, il prépare un mémoire sur l’infanterie légère de la Révolution et de l’Empire. Et passe son temps libre dans deux associations de reconstitution historique, à jouer les soldats de l’infanterie de ligne.

Et après ? « C’est flou. Peut-être un doctorat ? », s’interroge-t-il, suffisamment sérieusement pour déjà regretter le trop grand nombre de thèses publiées sur Napoléon. « On s’étonne que je sois passé des cuisines au master d’histoire. Mais en fac, si on a une passion, on peut l’assouvir. Et la motivation fait que cela marche. Alors celui qui adore l’histoire, même s’il est en bac pro, il doit foncer ! »