Quand il fait son entrée dans la salle des fêtes, au rez-de-chaussée de l’hôtel de Beauvau (8e arrondissement de Paris), certaines élèves se recoiffent discrètement, d’autres hésitent à applaudir, toutes et tous se lèvent de leur chaise, encore étonnés que le ministre de l’intérieur, ce jeudi 12 mai, les reçoivent « chez lui ». Qu’il offre à chacun une poignée de main, avant de prendre place face à la vingtaine de collégiens dionysiens, les invitant à s’asseoir, comme il le ferait avec des journalistes professionnels.

Les élèves et le ministre de l’intérieur s’étaient croisés un peu par hasard, un mois plus tôt, dans les couloirs de France Inter, où la classe de 3D du collège Pierre-de-Geyter – l’un des établissements du centre-ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) – participe à « InterClass’ », un projet d’éducation aux médias et de décryptage de l’info imaginé par la station, dans la foulée des attentats contre Charlie Hebdo. Aux adolescents impressionnés, Bernard Cazeneuve avait promis de « revenir les voir ». Mais entre la prolongation de l’état d’urgence et la mobilisation contre le projet de loi El Khomri, le déplacement au collège a semblé compromis. Ce sont donc eux qui ont été conviés sous les ors du ministère.

L’actualité des derniers mois n’a pas épargné ces adolescents. Une partie d’entre eux, habitant aux abords du Stade de France, était aux premières loges le 13 novembre, soir de match amical entre la France et l’Allemagne, quand un premier commando terroriste s’est fait exploser. « Certains ont pu entendre les déflagrations », confie leur enseignant d’histoire-géographie, Iannis Roder. Cinq jours plus tard, le 18 novembre, se jouait à deux pas de leur collège, place Jean-Jaurès à Saint-Denis, l’assaut nocturne du RAID contre l’appartement où s’étaient retranchés – entre autres – Abdelhamid Abaaoud, l’instigateur des attentats du 13. Dans la foulée, les collèges et les écoles du secteur étaient décrétés fermés. Un second choc
pour les élèves.

« On ne va pas vivre dans la terreur »

Six mois sont passés, et leur inquiétude transparaît encore nettement dès les premières questions posées à Bernard Cazeneuve. « Nous vivons dans l’insécurité à Saint-Denis, le commissariat manque d’effectifs, que comptez-vous faire ? », l’interroge Mehdi. « Quelle mesure pensez-vous prendre pour assurer la sécurité des établissements scolaires proche du Stade de France lors de l’Euro 2016 ? », renchérit Anaïs. Le ministre écoute, hoche la tête, et répond sans simplifier les enjeux ni minimiser les risques. « On ne va pas vivre dans
la terreur,
explique-t-il aux collégiens. Il y a 77 000 écoles en France. Si on devait poster devant chacune des policiers, il n’y en aurait plus ailleurs… » L’auditoire bruisse de rires étouffés. Le 
simple fait de prendre la parole a déjà suffi, semble-t-il, à l’apaiser.

Suit un flot de questions sur le métier de ministre. « En quoi consiste-t-il et pourquoi l’avez-vous choisi ? », demande Salah-Dine. « Les études sont-elles longues pour entrer en politique ? », questionne Anaïs. « Est-ce que beaucoup de personnes travaillent avec vous ? Etes-vous le leader, et elles, les exécutants ? », insiste Mohamed. « Combien d’heures cela représente-t-il par jour », le relance Jordan. « A partir de 6 h 30 du matin et jusqu’à minuit, voire au-delà », répond dans un sourire Bernard Cazeneuve. « Vous allez en décourager plus d’un qui se voyait déjà à votre place, Monsieur le ministre », glisse l’enseignant d’histoire.

Les questions sur l’actualité n’ont pas manqué. Notamment sur la « crise migratoire et la question du relogement à Calais ». Sans surprise, aussi, sur « le recours au 49.3 ». Pas d’évocation, en revanche, des heurts entre la jeunesse mobilisée depuis mars contre la
réforme du code de travail et les forces de police… en tout cas pas de l’initiative des élèves. Le ministre de l’intérieur, lui, à deux reprises tient à mettre le sujet en avant, prônant « le respect de l’intégrité physique de chacun ».

« Ont-ils seulement conscience, ces collégiens, qu’ils sont en train de faire l’interview que nous réclament quotidiennement tous les journalistes politiques ? », plaisante le conseiller communication de M. Cazeneuve. Dans l’agenda du ministre de l’intérieur, la rencontre avait été fixée à une vingtaine de minutes. Elle aura duré le double. Une opération séduction réussie ? A l’issue de ce rendez-vous, agrémenté d’une visite guidée de l’hôtel de Beauvau – y compris de sa « cellule interministérielle de crise » –, la petite troupe d’élèves s’est, de fait, sentie un peu privilégiée. Une situation qu’elle a peu coutume d’expérimenter.