Dans un laboratoire de l’INRA, en 2015. | REMY GABALDA/AFP

Dans un communiqué adressé, lundi 9 mai, aux directeurs d’unités de l’Institut national de recherche agronomique (INRA), l’association Science en marche s’inquiète d’un possible « parachutage » à la tête de l’organisme public. Le mandat de quatre ans de l’actuel président-directeur-général, François Houllier, arrive à son terme fin juillet. Science en marche, mouvement de chercheurs né en 2014, estime que la candidature de Philippe Mauguin, actuel directeur de cabinet du ministre de l’agriculture et porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, ne serait pas légitime. La nomination à la tête d’un établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST) d’une telle personnalité, « très marquée politiquement », « sans expérience de recherche », créerait, selon le collectif, « un précédent dangereux ». M. Mauguin confirme qu’il est intéressé par le poste mais qu’il n’a pas encore pris sa décision. François Houllier, candidat à son renouvellement, compte « défendre son bilan et sa vision dans une compétition ouverte et transparente », selon son entourage.

« Pas forcément beaucoup aimé du monde agricole »

Dans une lettre adressée à la presse conjointement à celle diffusée auprès de l’INRA, Science en marche fait également part de ses préoccupations : « Si nos craintes étaient fondées, et que le pouvoir politique réduisait l’un des organismes de recherche publics majeurs à une plate-forme d’atterrissage pour directeur de cabinet en mal de futur, nous considérerions qu’une ligne rouge a été franchie par un gouvernement dont le bilan dans le domaine de la recherche scientifique est caractérisé par un reniement presque systématique du programme présenté lors de la campagne présidentielle de 2012. » « La science, c’est un métier, pas une récompense politique », fait-on aussi valoir dans l’entourage de M. Houllier. Pour l’embryologiste Patrick Lemaire (CNRS Montpellier), animateur du mouvement Science en marche, qui ne cache pas sa proximité avec François Houllier, « cela pourrait affaiblir l’INRA d’avoir un PDG marqué politiquement, pas forcément beaucoup aimé du monde agricole ». Les chercheurs craignent qu’en cas de changement de majorité, être représenté par une personnalité proche de l’exécutif actuel ne soit un handicap.

Dans la bataille, François Houllier, spécialiste de la modélisation des plantes et des systèmes écologiques, peut compter sur un autre allier de poids. « L’actuel PDG de l’Inra demande le renouvellement de son mandat. Je l’appuie, affirme Xavier Beulin, président de la FNSEA, principal syndicat agricole français. C’est un soutien personnel. Je salue le parcours qui a été fait entre l’INRA et la profession. Comme l’illustre la publication du rapport Innovation 2025 qui met en exergue la recherche de solutions innovantes pour l’agriculture »,

De son côté, Philippe Mauguin reconnaît être intéressé par le poste. Même s’il dit n’avoir pas encore fait le choix d’être candidat. Un intérêt qui n’a rien de récent : il affirme avoir été approché il y a quatre ans par le ministère de la recherche, lors de la succession de Marion Guillou. Ayant effectué deux mandats, la patronne de l’établissement public ne pouvait se représenter. Mais M. Mauguin avait accepté, deux mois plus tôt, le poste de directeur de cabinet du ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll. Pas question, dans ces conditions, de déposer sa candidature. François Houllier, alors directeur général délégué de l’INRA, décrocha le poste en juillet 2012.

Une carrière dans la fonction publique

M. Mauguin estime que ses détracteurs lui font un procès en légitimité en affirmant qu’un directeur de centre de recherche ne peut être qu’un chercheur. Ingénieur agronome, diplômé d’AgroParisTech, mais aussi des Eaux et Forêts, il affirme avoir mené une brève activité de recherche au Centre de sociologie de l’innovation de l’Ecole des Mines de Paris à la fin de ses études. Mais sa carrière s’est entièrement déroulée dans la fonction publique et les ministères en lien avec les questions agricoles et agroalimentaires. Elle l’a amené à une fonction de direction des bioénergies à l’Ademe, mais aussi de direction de l’Institut national des appellations d’origine (INAO). Il a également été conseiller du premier ministre Lionel Jospin à l’agriculture et d’Hubert Curien, lorsqu’il était ministre de la recherche (1984-1986). Enfin, avant d’être nommé directeur de cabinet de M. Le Foll, il était directeur des pêches.

Pour légitimer son intérêt au poste convoité, M. Mauguin cite comme exemple de directeur n’ayant pas de cursus de chercheur un ancien patron de l’INRA, Paul Vialle. M. Vialle a effectivement été directeur général de l’organisme à la fin des années 1990, après avoir dirigé l’Institut national agronomique Paris-Grignon et avoir été directeur général adjoint de l’INRA. M. Mauguin omet de préciser qu’à l’époque, la tête de l’INRA était bicéphale, avec une présidence exercée alors par Guy Paillotin, biophysicien de formation.

M. Mauguin ne peut manquer d’évoquer son prédécesseur, Jean-Marc Bournigal, ex-directeur de cabinet, entre 2010 et 2012, de Bruno Lemaire, alors ministre de l’agriculture. Il a été nommé en mars 2012, juste avant les élections présidentielles, président de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), ex-Cemagref. M. Bournigal est vétérinaire de formation.

La publication de la vacance de poste, qui aurait dû être effective à la mi-avril, ouvrira prochainement le processus de renouvellement, les candidats ayant alors un mois pour se manifester avant qu’un comité ad hoc, constitué par les ministères de tutelle (agriculture et recherche) ne les auditionne. Ils doivent ensuite passer devant les deux Assemblées. L’exécutif choisira in fine celui qui aura sa préférence, au cœur de l’été.