"Pedro Almodovar a besoin d'un cadre où la passion est présente"
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Vers 1980, au temps de la movida madrilène, un employé de la compagnie du téléphone originaire de la Manche et une adolescente native de la capitale se mirent au cinéma, le premier comme réalisateur, la seconde comme actrice. Il a fallu plus d’un tiers de siècle pour que les chemins de Pedro Almodovar, effigie du cinéma espagnol dans le monde entier souvent honnie en son pays, et d’Emma Suarez, star nationale dont la réputation n’a pas souvent dépassé les Pyrénées, se croisent enfin.

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A Cannes, l’actrice, maintenant quinquagénaire, se souvient avoir découvert Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier puis Le Labyrinthe des passions (les deux premiers longs-métrages d’Almodovar) avec une surprise émerveillée : « J’avais commencé le cinéma en tournant dans des productions classiques. Pour moi, c’était donc un métier d’adultes, et voilà qu’un jeune se mettait à faire des films… » Elle se rappelle avoir croisé celui qui était alors une diva de la nuit dans des bars, où ils avaient partagé leur admiration pour Pink Flamingos, de John Waters.

Les actrices Adriana Ugarte et Emma Suarez à Cannes, le 16 mai 2016. | STEPHAN VANFLETEREN POUR "LE MONDE"

« Beaucoup de solitude »

Pendant qu’Almodovar devenait un grand ancien du cinéma international, Emma Suarez tournait avec Julio Medem, Manuel Gutierrez Aragon, Pilar Miro… Bref, tout ce que le cinéma espagnol compte de cinéastes intéressants, à une exception près. « Je n’étais peut-être pas prête pour tourner avec Pedro », hasarde-t-elle.

Jusqu’au jour où elle a reçu un appel, pendant le Festival de Saint-Sébastien. Suivirent un rendez-vous et le scénario de Julieta, inspiré de nouvelles d’Alice Mun­ro que – signe irréfutable du destin – Emma Suarez venait de lire. Ce n’est pas tant le partage du rôle de Julieta avec une autre actrice (Adriana Ugarte, qui joue le personnage en sa jeunesse) qui a intimidé Emma Suarez que ces « territoires difficiles » que traverse sa Julieta à elle. Avant de tourner, elle a revu tous ces films d’Almodovar qui mettent en scène des mères, qu’ont jouées Marisa Paredes, Carmen Maura, Cecilia Roth. Elle y a trouvé « beaucoup de solitude ».

Elle est aussi allée en Galice, s’imprégner des odeurs et des sons de cette région où se noue le destin de son personnage – mais où sa Julieta à elle ne met jamais les pieds. Sur le plateau, elle s’est soumise à l’exigence intransigeante de ce metteur en scène « insatiable, obsessif », qui l’a ramenée à Cannes, pour la première fois depuis 2003.