Lors d’une manifestation contre la loi travail, le 12 mai, des manifestants face à des CRS, à Paris. | JOEL SAGET/AFP

Face aux affrontements entre manifestants et forces de l’ordre – devenus systématiques dans les défilés contre la réforme du code du travail –, la préfecture de police de Paris a décidé d’user de son dispositif législatif renforcé depuis les attentats du 13 novembre. Des dizaines de militants antifascistes se sont vu notifier une interdiction de manifester lors de la journée d’action du mardi 17 mai.

Une décision de justice qui s’appuie sur l’article 5 de la loi sur l’état d’urgence, mais qui est vivement contestée par certains avocats, qui ont déposé des référés-liberté pour faire annuler cette mesure. Le tribunal administratif de Paris a jusqu’à mardi matin pour trancher.

  • Qui sont les manifestants visés ?

Les militants interdits de manifester sont, pour la plupart, proches de la mouvance antifasciste et anarchiste. Pour l’heure, trois groupes ont rapporté, sur Twitter, être visés par cet interdit préfectoral : le collectif Action antifasciste (AFA) Paris-Banlieue, le Mouvement interluttes indépendant (MILI) ou encore le Social Protest Klub (PSK).

Selon plusieurs sites de la mouvance anarchiste, une vingtaine d’individus auraient reçu cet arrêté « d’interdiction de séjour », mais le chiffre pourrait encore évoluer. Les personnes concernées par cette interdiction sont « diverses et variées », rapporte le site Paris-luttes. info, qui relaie les informations du collectif AFA Paris-Banlieue :

« Il y a des membres de différentes organisations (pas seulement l’AFA), mais également des personnes syndiquées, des blessées lors de violences policières, un journaliste et des non organisées. »

Surprenant en effet, un journaliste photographe indépendant, membre du collectif OEIL (Our Eye is Life), qui collabore avec le magazine Fumigène, s’est également vu notifier une interdiction de manifester, rapporte Buzzfeed. En dehors de Paris, d’autres interdictions de manifester ont été signalées, notamment à Nantes et Lyon, où les rassemblements contre le projet de loi travail ont été émaillés par des affrontements entre policiers et manifestants.

Selon la préfecture de police de Paris, contactée par Le Monde, les individus concernés avaient été « identifiés pour des faits de violences lors des précédentes manifestations ». Et il y a « tout lieu de penser » que leur présence aux rassemblements « vise à participer à des actions violentes », précise l’arrêté de la préfecture remis aux militants. Un proche des militants explique au Monde qu’aucune des personnes visées n’a pourtant été interpellée pendant les manifestations.

  • Que prévoit cet arrêté ?

D’après l’arrêté, signé le 14 mai par Michel Cadot, le préfet de police de Paris, les militants concernés sont « interdits de séjour » mardi, entre 11 heures et 20 heures dans les quatre arrondissements de Paris concernés par le défilé (6e, 7e, 14e et 15e). L’arrêté ajoute au périmètre, de 18 heures à 7 heures le lendemain, la place de la République et les rues alentour, où se rassemblent, depuis la fin mars, les membres du mouvement Nuit debout. Pour être effectif, ces arrêtés doivent être remis en main propre par les policiers, qui se sont donc rendus dimanche et lundi aux domiciles des militants concernés.

Le texte en question s’appuie notamment sur l’article 5 de la loi sur l’état d’urgence :

« La déclaration de l’état d’urgence donne pouvoir au préfet (…) d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ; d’instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; d’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics. »

Toute personne visée par cet arrêté et enfreignant ces règles encourt six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende.

  • Comment réagissent les manifestants ?

Un arsenal législatif qui n’intimide pas les militants antifascistes. « Si le préfet Cadot pense nous porter un coup au moral, il vient de faire exactement le contraire. Vous voulez nous faire sortir par la porte ? On rentrera par la fenêtre… A bientôt dans les rues », ont réagi les militants de l’AFA Paris-Banlieue sur le site du collectif. Et d’ajouter : Pour une personne interdite de manifestation, que cent autres descendent dans la rue. »

  • Quels sont leurs recours possibles ?

Le groupe Défense collective, qui apporte une aide juridique aux manifestants interpellés dans le cadre de la mobilisation contre la réforme du code du travail et de Nuit debout, a indiqué qu’il préparait un référé-liberté. Cette demande vise à contester la décision d’une administration publique quand elle porte atteinte à l’une de ses libertés fondamentales.

Le droit de manifester est un droit fondamental défini par la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen. Mais la mise en place de l’état d’urgence à la suite des attentats du 13 novembre permet d’outrepasser ce droit au nom de la sécurité et du maintien de l’ordre public.

Le tribunal administratif de Paris devra statuer mardi 17 mai à 8 h 45 sur une dizaine d’arrêtés préfectoraux, dont celui déposé par Hosni Maati, l’avocat du journaliste, connu sous le pseudo NnoMan. La préfecture a d’ores et déjà annoncé lundi que des « vérifications sont en cours », rapporte BuzzFeed. Et d’ajouter que si le journaliste « n’est pas concerné par les faits que l’arrêté lui reproche, il pourra participer à cette manifestation ».

  • Quel est le contexte ?

Des violences ont émaillé les manifestations depuis le début du mouvement contre la réforme du code du travail, en mars. Jeudi 12 mai, des affrontements entre la police et des casseurs ont eu lieu aux alentours des Invalides, à la fin d’un défilé. Organisateurs et autorités se renvoient la balle quant à la responsabilité des tensions.

Les rassemblements du mouvement Nuit debout, place de la République à Paris, sont également dans le viseur du gouvernement. La préfecture de police a multiplié, depuis le début du mois de mai, les arrêtés restrictifs les concernant. Mercredi 18 mai, à la veille de l’examen de la troisième loi de prorogation de l’état d’urgence à l’Assemblée nationale, un rassemblement est prévu à République pour dénoncer « la chape de plomb sécuritaire » et réclamer la fin de l’état d’urgence, qui a été prolongé jusqu’à fin juillet.

  • Des précédents ?

Le gouvernement avait déjà utilisé l’état d’urgence, en novembre et décembre 2015, pour interdire des manifestations en marge de la conférence de Paris sur le climat (COP21). Plus d’une vingtaine de personnes avaient alors été assignées à résidence dans toute la France. Des heurts avaient néanmoins éclaté, place de la République, à la suite d’un rassemblement non autorisé.