Des militants bloquent les rails menant à la centrale de charbon Schwarze Pumpe, dans la région de Lusace, en Allemagne, samedi 14 mai 2016. | TINO SCHULZE / AP

La mine de charbon de Welzow forme une immense tranchée noire creusée au milieu du paysage boisé de la Lusace (Lausitz, en allemand), dans l’est de l’Allemagne, près de la frontière polonaise. Il était environ 14 heures, vendredi 13 mai lorsque plus d’un millier de militants écologistes se sont introduits illégalement sur cette exploitation à ciel ouvert. Dévalant les pentes sableuses pour s’élancer vers le centre de la mine, ils ont scandé : « What do we want ? Climate justice ! » (« Nous voulons la justice climatique »). « Il faut vraiment voir cette mine pour comprendre l’obscénité de la destruction, ça donne littéralement envie de pleurer. Ce paysage, c’est ce que l’industrie des fossiles va faire de notre planète si nous ne les arrêtons pas », a confié Tadzio Mueller, militant écologiste allemand, en regardant les strates noires et marron qui forment des dunes artificielles sur des kilomètres.

Venus de toute l’Europe, environ 2 000 militants se sont donné rendez-vous en Lusace pour mener jusqu’au 15 mai une série d’actions de désobéissance civile destinées à perturber la production de lignite, l’énergie fossile la plus polluante et la plus émettrice de CO2. Baptisé « Ende Gelände » – « jusqu’ici pas plus loin » –, l’événement doit conclure l’opération globale « Break Free », une mobilisation internationale contre le secteur des énergies fossiles, lancée par les grandes organisations non gouvernementales écologistes et les mouvements locaux dans douze pays. Aux Etats-Unis, samedi, des centaines de manifestants se sont également rassemblés dans les Etats de New York et de Washington pour mener des actions contre des raffineries pétrolières.

Rester jusqu’à l’arrêt de la centrale

Cinq mois après la COP21, les écologistes veulent faire pression sur les Etats pour qu’ils respectent leurs engagements de ne pas dépasser un réchauffement de 2 °C sur la planète, qui impliquent de laisser 80 % des énergies fossiles dans le sous-sol. L’Allemagne a été ciblée pour l’immensité de ses mines et le paradoxe de sa transition énergétique : en voulant sortir du nucléaire à l’horizon 2022, le pays a renouvelé son exploitation charbonnière, qui génère encore aujourd’hui environ 40 % de l’électricité du pays. « Comment un pays qui a de si belles infrastructures pour les énergies renouvelables peut construire de telles mines ? », se demande Kathy, une militante britannique venue de Liverpool, observant les éoliennes de la campagne alentour.

Après avoir exploré les excavatrices, ces gigantesques engins roulant qui extraient la houille au cœur de la mine, les militants ont aussi bloqué la plupart des chemins d’accès du charbon vers la centrale thermique de Schwarze Pumpe samedi 14 mai. D’une capacité de 1 600 mégawatts, elle fonctionne avec le combustible récolté dans les mines alentour. « L’idée est de rester ici jusqu’à ce que la centrale s’arrête ou ralentisse sa production », explique Laure, française, entre deux slogans exigeant la fin des énergies fossiles.

La centrale en question appartient au troisième producteur d’électricité allemand, l’énergéticien suédois Vattenfall, détenu entièrement par l’Etat nordique. Ce dernier cherche à se défaire de ses actifs liés au charbon en Allemagne, représentant environ 10 % de la production du pays, et a annoncé le mois dernier qu’il cédait ses actifs à la compagnie tchèque EPH. C’est pour dissuader Vattenfall de vendre que la mobilisation se tient ici, les militants écologistes demandent un arrêt immédiat des activités liées à cette énergie. « Si rien ne change, elle va être exploitée jusqu’en 2050, on ne peut pas laisser faire ça, on va continuer à se mobiliser et il y aura toujours plus de monde », affirme Patrick Stötzel, membre organisateur d’« Ende Gelände », assis sur un coin de rail avec plusieurs centaines d’autres.

Sigrid Magnus, une Suédoise de 20 ans, a tenu à faire le voyage : « C’est vraiment important pour nous de venir ici parce que, finalement, c’est notre mine, c’est notre devoir de nous mobiliser aussi. » Un peu plus loin dans la foule, Juliette Rousseau montre un filet rempli de paille que presque tout le monde porte ici : « Ça a l’air inoffensif comme ça, mais c’est vraiment très efficace pour faire bouclier face à la police », assure la militante écologiste française.

Des villages menacés par l’extension des mines

Certains avaient aussi apporté des matelas pour s’allonger sur la voie ferrée, se préparant à rester toute la nuit pour empêcher l’approvisionnement de la centrale dont les larges cheminées fument au bout des rails. La centrale devrait s’éteindre dimanche pour la première fois, faute de charbon. « L’impact est très limité, a déclaré Peter Stedt, chargé de presse pour Vattenfall. Nous avons plusieurs autres centrales qui peuvent compenser les besoins, l’impact économique est moindre. »

Dans le campement où ils étaient installés, à proximité d’une des mines de Vattenfall, les militants ont célébré le succès de leur mobilisation : « Nous sommes très fiers d’avoir réussi à éteindre une centrale pour la première fois en Allemagne. Pour une action qui était annoncée des mois à l’avance, ils n’ont pas réussi à nous arrêter ! », s’écrie Tadzio Mueller devant plusieurs centaines de personnes sous le chapiteau central.

A quelques mètres de là, le village de Proschim est menacé directement par l’extension des mines de Vattenfall. Dans les rues, certains ont apposé une croix sur leurs portails pour signifier leur opposition au charbon. A cause des extensions successives, plus de 130 communes ont déjà disparu de la carte de la région depuis le début du XXe siècle. « C’est terrible de voir la nature et les villages que l’on a parcourus des centaines de fois disparaître », déplore Andreas Paulih, habitant de la région, j’ai toujours peur que mon village soit le prochain », confie-t-il. A côté de lui, Martin Wonneberyer, lui aussi résident d’une commune voisine, tient un pot rempli d’un liquide marron : « C’est la pollution au fer que l’on trouve dans nos rivières », décrit-il, se plaignant aussi des tempêtes de sables causés par la mine. « Je suis content que les gens se mobilisent aujourd’hui, mais il aura fallu le faire il y a vingt ans », déplore Andreas Paulih.