Le président turc Recep Tayyip Erdogan lors de son arrivée pour un discours public à Istanbul le 6 mai. | MURAD SEZER / REUTERS

« Ce n’est pas un vœu personnel » mais « une nécessité urgente », a assuré Recep Tayyip Erdogan, lors d’un discours public à Istanbul vendredi 6 mai. Le président turc espère bien soumettre à référendum son projet de transformer la Turquie en république présidentielle. L’homme fort du pays relance ainsi l’ambition qu’il porte depuis plusieurs années et qui, de fait, renforcerait ses pouvoirs, lui qui est déjà accusé de dérives autoritaires.

Le président a appelé à ce qu’« une nouvelle Constitution et un système présidentiel » soient soumis « dans les plus brefs délais » à un vote populaire. Or, depuis les élections législatives de novembre, son parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) manque de voix au Parlement pour convoquer un tel scrutin. Jusqu’ici, M.Erdogan a toujours rejeté la perspective d’élections législatives anticipées en vue de regagner les sièges qui lui font défaut, mais cela pourrait changer .

Cet appel à une accélération du calendrier survient au lendemain de la mise à l’écart du premier ministre Ahmet Davutoglu, coupable notamment de ne pas suivre M. Erdogan sur ce dossier.

  • Un premier ministre postiche, scénario « à la Poutine »

« Un président fort, un premier ministre obéissant », résumait le quotidien turc Hürriyet Abdulkadir Selvi vendredi. La veille, le premier ministre Ahmet Davutoglu avait annoncé la tenue d’un congrès extraordinaire de l’AKP, le 22 mai, tout en faisait savoir qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat à la tête du parti. Or les fonctions à la tête de l’exécutif et du parti islamo-conservateur étant liées, il annonçait par conséquence qu’il était sur le point de quitter son poste de premier ministre, alors qu’il avait entamé en novembre un mandat de quatre ans.

Ce départ écartait de la route de M. Erdogan un ministre avec lequel il accumulait les désaccords. Car dans les faits, le président Erdogan est connu pour tenir les rênes de la formation politique qu’il a fondée et avoir gardé la main sur l’exécutif. C’est d’ailleurs faute de pouvoir prétendre à un troisième mandat de premier ministre – la Constitution, encore elle, le lui interdit – qu’il s’était résolu à briguer la présidence en 2014. M. Davutoglu a donc assumé la fonction laissée vacante par son mentor, s’inscrivant dans un scénario semblable à celui du duo Poutine-Medvedev en 2008.

Cet arrangement avec la Loi fondamentale constitue un secret de polichinelle en Turquie. « Turquie = RTE [initiales du président] = AKP », a par exemple tweeté cette semaine l’influent conseiller du président turc, Mustafa Akis.

Le premier ministre turc Ahmet Davutoglu (en bas à droite) tient un meeting de campagne devant un portrait géant du président Recep Tayyip Erdogan, en juin 2015. | MURAD SEZER / REUTERS

  • Majorité parlementaire perdue

Désireux de garder le contrôle du pays, M. Erdogan n’a jamais caché son intention d’instaurer un régime présidentiel. Il avait fait de la réforme de la Constitution l’un des enjeux essentiels des élections législatives de juin 2015. S’impliquant dans la campagne alors que ses fonctions supposent la neutralité, il avait appelé les électeurs à octroyer une large majorité à l’AKP, les deux tiers des voix parlementaires étant nécessaires pour modifier la Constitution.

Ce scrutin avait marqué le premier revers électoral de l’ère Erdogan, au profit d’une percée du HDP, le parti pro kurde. Si la formation islamo-conservatrice était arrivée en tête, elle avait perdu pour la première fois la majorité absolue dont elle bénéficiait depuis 2002. Face à l’incapacité des partis d’opposition à former un gouvernement de coalition, l’AKP avait par la suite repris l’avantage en convoquant en novembre 2015 des élections anticipées qui lui avaient permis de regagner son avance. L’AKP détient actuellement 317 sièges, sur 550, au Parlement. Il lui en faut 330 pour mettre en place un référendum.

  • L’hypothèse d’un référendum

En l’état, l’AKP ne peut pas espérer soumettre son projet de réforme à référendum. Il ne lui manque que 13 voix, sur les 330 nécessaires pour convoquer le peuple, mais l’opposition y est très hostile. Elle s’inquiète de voir l’autoritaire M. Erdogan renforcer encore sa domination sur le pays.

Or selon les sondages, le texte est assuré d’obtenir l’aval du peuple s’il lui est présenté. Si pour l’instant, M. Erdogan semble exclure l’option d’une nouvelle élection anticipée en vue d’obtenir les voix manquantes, la tentation est grande. Deux des trois partis de l’opposition parlementaire traversent une crise et M. Erdogan a su s’imposer sous les traits de « l’homme fort » face au chaos syrien qui déborde sur son territoire. Cette situation pourrait permettre à l’omnipotent président d’inscrire, dans les textes, la République présidentielle qu’il a d’ores et déjà instaurée dans les faits.