Gilles Laurent, tué dans les attentats de Bruxelles, le 22 mars. | Les droits de reproduction de cette photo sont réservés au "Monde" et à "La libre Belgique".

Gilles Laurent aimait Schubert, Sibelius, Chostakovitch, autant que le jazz, le reggae, le funk. Il aimait écouter, il aimait réfléchir. Il aimait le silence. Il était ouvert aux variations du destin, prêt à accueillir l’imprévu.

Un roman l’avait marqué, Cent ans de solitude, du Colombien Gabriel Garcia Marquez. Bien plus qu’une lecture de vacances, ce livre avait eu pour lui la portée d’une révélation. La sensualité des Caraïbes, l’entrecroisement des drames familiaux, la dénonciation de l’interventionnisme nord-américain… Gilles Laurent y avait trouvé tant d’échos à ses propres questionnements.

Peu après, il était parti six mois sur les routes d’Amérique centrale, remontant vers le Nord, du Costa Rica au Mexique, à son propre rythme. Il se passionnait, pêle-mêle, pour la peinture de Diego Rivera, le tango, les travaux de l’anthropologue Carlos Castañeda, les expériences politiques d’Evo Morales en Bolivie et de Rafael Correa en Equateur.

Globe-trotter impénitent, Gilles Laurent a aimé l’Irlande, Majorque, l’Argentine, et d’autres lieux encore, mais jamais en simple consommateur du monde. « Il était en recherche », confie Boris, son ami d’enfance. Céline Curvers, une amie de longue date, se souvient d’un homme « insaisissable, toujours en chemin, toujours en train de faire des valises ». Un homme engagé, parfois intransigeant, sans smartphone ni voiture. « Facebook, avec lui, c’était banni, le diable ! »

Depuis 2013, Gilles Laurent vivait à Tokyo avec son épouse Reiko et ses deux filles, Suzu et Lili. C’est le Japon qui a poussé cet ingénieur du son à réaliser son premier documentaire, La Terre abandonnée. Partant de la catastrophe de Fukushima, le film traite du rapport de l’être humain à la nature et aux traditions.

Gilles Laurent était à Bruxelles pour y apporter la touche finale. Le 22 mars, il se rendait en métro à une projection privée, afin d’évaluer une première version du montage. Le projet devra désormais être achevé par son associé Alex Davidson.

Le monde du cinéma, Gilles y était arrivé sur le tard. La passion du son l’avait saisi au seuil de la trentaine, après une entrée dans la vie professionnelle à tâtons, notamment comme cuisinier dans un restaurant végétarien. Avec le cinéaste mexicain Carlos Reygadas, une relation de confiance s’est très vite nouée.

Trois de ses films, Japón, Battle in Heaven et Post Tenebras Lux, sélectionnés au Festival de Cannes, portent la griffe du technicien belge. Ce dernier a aussi collaboré à Poulet aux prunes, de la réalisatrice franco-iranienne Marjane Satrapi.

Gilles Laurent aimait se ressourcer à Bouillon, la petite ville dont il était originaire. Ses parents y tiennent un hôtel-restaurant, à un jet de pierre de la frontière française. « L’été, les randonnées dans les bois étaient incontournables. Pas question de débarquer sans ses chaussures de marche », se remémore Alice, la plus jeune de ses trois sœurs.

« L’atmosphère des Ardennes a pu l’influencer, pense son ami Boris. Mon frère et lui avaient l’habitude de faire du camping sauvage sur les rives de la Semois. Ils parlaient souvent du son de la forêt, la nuit, une expérience intense. »

Sensible à la spiritualité, Gilles Laurent avait enregistré les chants des moines à l’abbaye trappiste d’Orval, non loin de Bouillon.

Un contenu de cette page n'est pas adapté au format mobile

François Brabant (« La Libre Belgique »)