Jean-Christophe Péraud lors de la présentation des équipes du Giro, le premier et dernier de sa carrière. | LUK BENIES / AFP

Il lui reste trois semaines. Trois semaines pour se donner raison d’avoir persévéré dans les sacrifices, physiques et familiaux, les premiers qu’il chérit, les seconds qu’il a en horreur. Depuis le 27 juillet 2014, jour où il est monté à la droite de Vincenzo Nibali sur le podium du Tour de France, Jean-Christophe Péraud s’est égaré.

Il a fallu gérer des sollicitations médiatiques - trop rares, compte tenu de sa performance -, la redescente du sommet de son sport. 2015, année noire : une victoire presque par hasard au Critérium international, une chute spectaculaire sur le Tour de France dont on a presque plus parlé que de sa deuxième place, acquise un an plus tôt dans l’ombre des jeunes qui éclosent, Thibaut Pinot et Romain Bardet.

Son premier et dernier Tour d’Italie

« Jicé ne s’est pas reconstruit psychologiquement », analyse dans Vélo Magazine du mois de mai son entraîneur et ami Mickaël Bouget. « Jicé » aura 39 ans quand son premier et dernier Tour d’Italie s’achèvera. Il est au bout de la route, ce milieu si différent du VTT, le « vélo vert » comme il l’appelle, qui a rythmé sa jeunesse et lui a apporté une médaille olympique (argent, en 2008). Il a mis du temps à l’apprivoiser - l’inverse est vrai aussi -, à en comprendre les codes, et sera resté un peu en marge jusqu’au bout, mais s’y « est régalé ».

« Ca a été une aventure passionnante, un bol d’oxygène », dit-il au Monde. Son contrat, reconduit avant son exploit du Tour 2014, s’achève à la fin de l’année. Il pourrait rendre service à bien des équipes mais n’a plus rien à prouver, ne s’épanouirait sans doute pas dans le rôle d’équipier et a un avenir assuré, grâce à son diplôme d’ingénieur et le poste qui l’attend toujours chez Areva.

Au mois de mars, il est parti à la recherche de certitudes sur Tirreno-Adriatico, où la neige a empêché le déroulement de l’étape de montagne, celle dont il avait besoin pour se rassurer. On l’a croisé dans le silence d’un hôtel de station balnéaire en plein hiver, un cadre à rendre dépressif un clown sous ecstasy.

« Déjà une forme de nostalgie »

« Une dernière saison, c’est particulier… », nous répétait-il à trois reprises, allongé sur une table de massage. « Il y a déjà la peur de l’après et une forme de nostalgie, celle de l’adrénaline de la compétition. On dit bien que c’est “une petite mort”… »

Sa décision de s’arrêter est irréversible : « Si je fais encore une année blanche, c’est que c’était les deux années de trop et je ne veux pas en refaire une troisième. Si c’est une belle année, je partirai par la grande porte. Et puis, je ne veux plus revivre cette pression du début de saison, ne pas savoir si je retrouverai le haut niveau ou pas. »

Avant de penser à la suite, qui pourrait aussi s’inscrire dans le monde du cyclisme, il y a ce Giro. Un objectif préparé avec sérieux : six étapes reconnues, dont les contre-la-montre, et un programme de courses italiennes pour « (s’)imprégner de la manière de courir ici ».

99e Tour d’Italie, mode d’emploi

Le Giro s’élance cette année des Pays-Bas avec un contre-la-montre de 10 kilomètres à Apeldoorn. La montagne arrivera tard, après un nouveau contre-la-montre beaucoup plus long (40 km), à travers les vignes du Chianti, qui décantera le peloton des favoris.

Pour succéder à Alberto Contador, qui a fait l’impasse pour se consacrer au Tour de France, on retient les noms de Vincenzo Nibali (Astana), le favori des tifosi à la recherche de sa meilleure forme ; Mikel Landa (Sky), troisième l’an dernier et meilleur grimpeur du lot ; Alejandro Valverde (Movistar), toujours régulier ; ou Ilnur Zakarin (Katusha), jeune russe dont on perçoit mal le potentiel sur trois semaines. Parmi les 12 Français au départ, Jean-Christophe Péraud (AG2R) et Alexandre Geniez (FDJ) viseront le top 10 du classement final.

En début de Giro, la lutte devrait être intense pour les sprints, avec un plateau remarquable d’hommes rapides : Marcel Kittel, Andre Greipel, Elia Viviani, Arnaud Demare et Caleb Ewan notamment.

La liste de départ

Le parcours

« Je n’ai plus de repères »

L’hiver a été plus appliqué que jamais, contrairement à celui de 2014, assure-t-il. Mais l’idée de monter sur le podium à Milan s’est troublée, faute de résultats satisfaisants. « Je n’ai plus d’objectif, j’aimerais bien faire dans les dix premiers du classement général, mais je n’ai plus de repères. » Sur le Tour du Trentin, en avril, Péraud dit avoir « vu du mieux, une petite embellie » (9è du classement final). « Sans être totalement rassuré, j’ai au moins pris du plaisir sur le vélo. J’espère être sur la bonne voie. »

A l’entraînement, ses résultats fluctuent, tantôt au niveau d’il y a deux ans, tantôt nettement en-dessous. Pour ce coureur rationnel, le yo-yo est difficilement compréhensible. L’incertitude tue le plaisir, pourtant maître mot de sa dernière saison : changement de calendrier pour tuer la routine, immersion dans un pays doté d’une « vraie culture du vélo »« on sait cuire les pâtes et les légumes sont frais ».

Péraud avait attiré les projecteurs à l'occasion d'une chute spectaculaire sur le Tour de France 2015, entre Muret et Rodez. Il avait malgré tout fini l'épreuve. | Laurent Cipriani / AP

Le plaisir, surtout, d’être à distance de la lumière médiatique que le coureur-ingénieur, avare en mots, n’a jamais recherchée. En 2014, se souvient-il, le scénario du Tour et la présence en haut de classement de deux compatriotes, chouchous des télévisions, l’avaient relativement préservé. « Ce qui est stressant pour un athlète, c’est la médiatisation en amont de l’objectif. Elle ajoute une pression supplémentaire et c’est un peu ce que je fuis », admet Péraud.

Cette fois, le vétéran du peloton français semble se l’être imposée tout seul, pour le dernier objectif d’une carrière épatante de régularité et menée, dit-on, dans le culte du travail et le respect de la hiérarchie naturelle. Une fin à la hauteur voudrait que Péraud et sa gueule burinée, sa voix monocorde couleur sud-ouest, s’incruste une nouvelle fois, à pas de velours, là où on ne l’attend pas, entre Nibali et les pétaradants Mikel Landa et Ilnur Zakarin.