Livré par STX à Royal Caribbean Cruise, le numéro deux mondial des croisières, le paquebot Harmony of the seas a changé de pavillon jeudi 12 mai. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Alors que le Sud-coréen STX laissait, jeudi 12 mai, le paquebot Harmony of the seas, plus grand navire de croisière jamais construit, prendre le large, le maire socialiste de Saint-Nazaire, David Samzun, peut se réjouir : les chantiers navals de la ville – 25 000 travailleurs dans le complexe industrialo-portuaire –, ont leur carnet de commandes plein pour cinq à dix ans.

De mémoire de Nazairien, la ville n’a jamais connu « un tel alignement des planètes entre nos deux principaux donneurs d’ordres », Airbus et STX. « Je ne boude pas mon plaisir », raconte-t-il au Monde, à son retour de la cérémonie de changement de pavillon du luxueux bateau de 362 mètres de long, livré jeudi à Royal Caribbean Cruise, le numéro deux mondial des croisières.

Alors qu’il y a cinq ans, la question de la fermeture des chantiers, ouverts en 1861, se posait, la commande du paquebot a été un événement majeur pour le redémarrage industriel de la ville.

Une lancée qui se poursuit : le 6 avril, MSC, l’un des principaux armateurs européens, a officialisé l’achat de quatre gigantesques paquebots auprès de STX. Un chèque de 4 milliards d’euros fait de cette commande le plus important investissement étranger enregistré en France depuis des années. Pour les chantiers de Saint-Nazaire, dont l’Etat est actionnaire à 33 %, c’est la commande providentielle.

  • Un emploi chez STX : trois emplois créés sur le territoire

De son côté, le constructeur européen Airbus, autre gros pourvoyeur d’emplois directs sur le territoire, a recruté 135 personnes en 2015. Selon des données de Pôle emploi, la construction aéronautique et spatiale a créé 1 320 postes entre 2009 et 2014 à Saint-Nazaire, deuxième pôle aéronautique français après Toulouse.

Cette bonne santé économique entraîne de surcroît les entreprises sous-traitantes : un emploi direct chez STX induit la création de trois emplois sur le territoire, estime Dominique César, responsable du développement des entreprises à la Chambre de commerce et d’industrie de Nantes Saint-Nazaire. « Cela correspond aujourd’hui à 8 000 personnes qui travaillent de près ou de loin avec STX », estime-t-il.

Ces perspectives poussent donc la ville à l’optimisme, d’autant que les commandes portent sur des contrats de long terme, de nature à favoriser les recrutements. Signe de relance pour David Samzun : au quatrième trimestre 2015, le dépôt d’offres d’emploi a progressé, respectivement de 20,8 % pour l’intérim, 24 % pour l’industrie, 10,7 % pour le tertiaire et 33 % pour le BTP, par rapport au quatrième trimestre 2014.

Par ailleurs, les permis de construire ont augmenté de 15 % entre les premiers trimestres 2015 et 2016. « On a arrêté de perdre de la population depuis cinq ans. La ville compte 71 300 habitants aujourd’hui [contre 67 940 en 2012, selon l’Insee]. A la rentrée 2016-2017, nous comptons ouvrir cinq à six classes de primaire », détaille l’élu.

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  • Une embellie à relativiser

Pour autant, les bonnes nouvelles ne suffisent pas à faire miroiter un « miracle économique » à Saint-Nazaire : le taux de chômage est de 9,1 % au quatrième trimestre 2015, certes en dessous de la moyenne nationale (10,5 %), mais toutefois plus que celle du département de Loire-Atlantique (8,7 %). Constat à nuancer légèrement cependant : si le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A a augmenté de 19,8 % entre 2011 et 2016, sur les douze derniers mois, il a baissé de 1,3 %.

« Nous vivons un paradoxe », reconnaît le maire. L’industrie pâtit notamment d’un problème de formation et d’image, qui décourage les jeunes à se tourner vers le secteur. « Les donneurs d’ordres peinent à recruter, à cause de la dévalorisation de ces métiers manuels qui pourtant sont de haute technicité et qualification », regrette-il.

« C’est une des difficultés », renchérit Dominique César, qui fait état d’une « raréfaction du vivier » similaire à celle vécue dans d’autres bassins industriels en France, et qui contraindrait les entreprises à débaucher des ouvriers étrangers. Selon la mairie, la main-d’œuvre étrangère représente entre 15 % et 20 % du personnel des chantiers, 30 % lors des phases d’armement.

Par exemple en 2015, un tiers des ouvriers à l’œuvre sur le paquebot L’Oasis, selon la CGT, étaient des travailleurs détachés, rémunérés au moins au salaire minimum, mais dont les charges sociales sont payées dans le pays d’origine. Le sujet était devenu l’un des chevaux de bataille du Front national local lors des élections départementales de mars 2015.

  • Tourisme et diversification, d’autres chantiers

La ville essaie donc de limiter sa dépendance aux activités de construction navale, très cycliques. « Le cycle 2008-2012 a été difficile pour la construction navale », explique Dominique César, de la CCI. « La corrélation entre les chantiers et le territoire est difficile à mesurer, mais quand il y a un appel d’air sur les chantiers, il est évident que cela génère des activités. On vit aujourd’hui les bénéfices du tournant pris en 2013. »

Saint-Nazaire entreprend donc sa diversification économique et investit dans d’autres secteurs. Ainsi, deux projets de parcs éoliens au large des côtes de Saint-Nazaire ont été attribués à EDF/Alstom d’une part, et Areva/Engie d’autre part. STX s’est également lancé dans les sous-stations électriques et les fondations des éoliennes offshore. « Cette conjonction aura des effets importants sur l’attractivité du territoire », assure Dominique César.

Dans le centre-ville, qui se vide de ses habitants et de ses commerces, la relance ne se fait pas particulièrement sentir. « Le centre-ville souffre parce que la périphérie se développe. Saint-Nazaire a beaucoup souffert. Mais on aperçoit des signaux positifs, comme une plus grande fréquentation humaine, ou un commerce qui rouvre. Mais cela reste à confirmer », admet David Samzun.

En ce sens, le tourisme pourrait devenir un autre bassin d’emploi de la « ville aux vingt plages » : en deux ans, la fréquentation de l’offre payante de Saint-Nazaire tourisme et patrimoine (visites guidées, notamment sur le chantier naval) a augmenté de 30 %, avec près de 300 000 visiteurs. « Le front de mer est noir de monde dès qu’il fait beau », raconte le maire : « C’est une ville où il fait bon vivre, qui fonctionne toute l’année. »