Un casque bleu de la Monusco à Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo, en avril 2016. | PABLO PORCIUNCULA / AFP

« Beni en sang, pourquoi ce silence », « Beni n’est pas une boucherie », « Monusco, agissez ou partez ». Le 14 mai, une vingtaine de militants de Lutte pour le changement (Lucha) ont manifesté devant le quartier général de la mission des Nations unies à Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), pour dénoncer les massacres ayant fait environ 600 morts depuis octobre 2014 dans l’extrême-nord de cette province, instable depuis plus de vingt ans.

Au début du mois de mai, après une accalmie relative, dix-sept personnes ont été assassinées dans la région d’Eringeti, et d’autres tueries ont suivi. Depuis, la colère monte, gronde et se nourrit de photos et de vidéos circulant sur les réseaux sociaux. Des corps en morceaux, des femmes éventrées, des enfants égorgés, des chairs tailladées… Les images sont difficiles à authentifier mais correspondent au type de meurtres, surtout perpétrés à l’arme blanche (machette, couteaux, hache…), déjà documentés dans la région par l’Organisation des Nations unies (ONU) et des organisations non gouvernementales.

Silence de Joseph Kabila

Le silence du président, Joseph Kabila, et d’autres responsables est vivement critiqué. « Ras-le-bol du manque d’intérêt de nos autorités ! », lâche Terence, habitant de Beni. « On tue nos frères et sœurs tous les jours et c’est motus à Kinshasa [la capitale de la RDC]. On a vu ça où dans le monde ? », s’insurge Eric, expatrié aux Etats-Unis. « Si le monde a été touché par les attentats de Paris, de Charlie Hebdo et j’en passe, c’est parce que les médias ont fait fort. Le monde doit se mobiliser contre ces horreurs », plaide Patrick, à Kinshasa.

Des personnalités congolaises disent aussi « stop » à ces crimes, principalement attribués à la rébellion musulmane ougandaise des Allied Democratic Forces (ADF – « Forces démocratiques alliées »). A l’image des chanteurs Youssoupha et Maître Gims, ou du docteur Denis Mukwege, qui a soigné des milliers de femmes violées lors des conflits dans l’Est et a dénoncé le 17 mai une « barbarie ignoble » : « Les Congolais sont exaspérés, meurtris et humiliés. Ils réclament plus de responsabilité et d’efficacité de la part de ceux qui les gouvernent. »

Assoiffées de paix, des femmes de Butembo ont manifesté le 16 mai pour demander plus d’efforts à l’armée et à la mission onusienne, présente depuis 1999 et chargée de protéger les civils. Quant aux sociétés civiles de Beni et du Lubero, aussi théâtre de meurtres, elles ont écrit au chef de l’Etat et appelé à entamer le 18 mai trois jours de grève. L’objectif est de protester contre « l’inefficacité de l’armée, la Monusco [Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo], la police, les renseignements », confie Teddy Kataliko, président de la société civile de Beni.

#JesuisBeni

Sur la Toile, certains ont changé leur photo de profil Facebook ou Twitter en hommage aux victimes et de nouveaux hashtags sont apparus : « #JesuisBeni » ou « #Justice4Beni » (justice pour Beni). Des Congolais et des étrangers se mettent à signer une pétition lancée en juin 2015 pour obtenir une enquête internationale. Le texte, qui comptait plus de 14 500 signatures à la mi-mai, souligne la « gravité des crimes » et « l’intention génocidaire de leurs auteurs ». Des auteurs dont l’identité reste sujette à caution.

Selon l’ONU et le Groupe d’étude sur le Congo (GEC), les principaux responsables seraient membres des ADF, présents à Beni depuis 1995, d’autres groupes armés, mais aussi certains militaires congolais. Un rapport des experts de l’ONU qui a fuité accuse spécifiquement le général Charles Muhindo Akili Mundos – qui a démenti – d’avoir recruté et armé des assassins. L’accusation est d’autant plus grave que le suspect a commandé d’août 2014 à juin 2015 l’opération « Sokola » (« nettoyer », en lingala), qui a pour mission la traque des ADF.

Un haut responsable de l’armée fulmine et qualifie les experts d’« amateurs ». « Ce rapport est une honte pour les Nations unies et pour ses experts. Le général Mundos peut avoir ses faiblesses dans la communication avec les communautés, mais on ne peut pas aller jusqu’à lui attribuer une histoire aussi lourde que celle-là. Il n’a jamais été dans une seule rébellion depuis 1996 », précise l’officier supérieur. Reste que vaincre les « tueurs de Beni » ne sera pas une mince affaire.

Protéger « au maximum » les civils

Pour le général Jean Baillaud, chef adjoint de la Monusco, l’une des plus importantes missions au monde avec quelque 20 000 hommes en uniforme, il est impératif de mener en parallèle un processus de résolution politique du problème. En attendant, consigne a été donnée aux casques bleus de protéger « au maximum » les civils et, si besoin, d’aller au contact de l’« adversaire », très résilient et qui « sème la confusion » en portant l’uniforme de l’armée, poursuit le général français.

Si des associations appellent la population à coopérer davantage avec l’armée et la Monusco, Teddy Kataliko rêve d’une force type Artémis. Cette force européenne commandée par la France était intervenue avec les casques bleus de juin à septembre 2003 en Ituri, plus au nord, où se déroulaient des troubles meurtriers. Des Congolais s’en souviennent comme d’un franc succès, même si certains groupes armés sévissent toujours dans la région et que des meurtres des ADF présumés sont rapportés.