Val d’Ancœur, en Seine-et-Marne. | Maxime Zucca

En Ile-de-France, ce n’est pas sur le bitume parisien que l’érosion de la biodiversité se mesure le mieux, mais dans les zones agricoles. Celles-ci couvrent la moitié de la région et ont une lourde responsabilité dans le déclin de la faune. En treize ans, l’Ile-de-France a perdu un cinquième de ses oiseaux ! Haies, bosquets et mares ont disparu. Les parcelles cultivées, de plus en plus étendues et de plus en plus monotones, n’ont plus rien pour les attirer, plus d’habitat refuge à leur offrir. La décimation de quantité d’insectes par les pesticides achève de les faire disparaître.

Un diagnostic alarmant

L’état des populations d’oiseaux, de papillons de jour, l’abondance et la variété des plantes sont les trois indicateurs sur lesquels Natureparif, une agence régionale d’une vingtaine de personnes chargée du recueil et de la diffusion de connaissances sur la nature, s’appuie pour estimer, chiffres à l’appui, l’« état de santé de la biodiversité en Ile-de-France ». Son diagnostic est alarmant : il conclut globalement à « une diminution importante des espèces et de leurs effectifs en Ile-de-France ». Seul le milieu forestier, qui représente 23 % du territoire, s’en sort mieux. Deux cents naturalistes ont contribué à cette étude, portée au plan national par le Muséum national d’histoire naturelle.

La population de bruant proyer a chuté de 43 % en douze ans

« Notre objectif est scientifique, nous visons des données chiffrées significatives, il ne s’agit pas d’une vue subjective », assure Audrey Muratet, chargée de mission à Natureparif, et auteure de l’étude. Les recensements, qui se font selon un protocole précis dans une centaine de secteurs géographiques en Ile-de-France, permettent d’évaluer à 21 % la baisse de l’abondance des oiseaux dans la région depuis 2002 ; celle des papillons à 8 % depuis 2005 ; tandis que la diversité des plantes est restée stable depuis 2009.

Des espèces d’oiseaux disparaissent d’Ile-de-France

un Bruant proyer (Emberiza calandra) | Alenya

Non seulement, le nombre d’oiseaux décline, mais la composition des populations change. Ceux capables de s’adapter à tous les milieux, comme le pigeon ramier et la corneille noire, gagnent du terrain. Les autres disparaissent. Les observateurs ont ainsi noté l’absence du tarier des prés, un insectivore, et chez les granivores, celle de la perdrix grise, tandis que chez le bruant proyer les effectifs ont chuté de 43 % en douze ans.

Des plantes introuvables

Même tendance à l’appauvrissement chez les papillons, dont une espèce, la piéride de la rave, s’en sort nettement mieux que les autres. Sa chenille se développe notamment sur le colza, qui a colonisé les terres en Seine-et-Marne. La flore aussi est à la peine : l’aspérule des champs, le buplèvre à feuilles rondes ont disparu, victimes de la monoculture. La nielle des blés se trouve en état critique et l’éclatant coquelicot est bien mal en point. Il reste un trio omniprésent sur le territoire de la région : gazon ray-grass, lierre grimpant et ronce commune.

Une plaine agricole en Seine-et-Marne | Maxime Zucca

« Dans notre région, le plus alarmant est la simplification des paysages agricoles: drainés, irrigués, aplanis, car ils ne sont plus accueillants pour la nature, constate Audrey Muratet. Et les pesticides y sont encore trop utilisés : malgré le plan “Ecophyto”, qui impose de les réduire de moitié, leur usage ne baisse qu’en milieu urbain, où les gestionnaires d’espaces verts prennent conscience du problème. Résultat : on observe une végétalisation des interstices dans les villes. C’est une note positive, mais il faudrait se montrer plus ambitieux : casser le bitume pour laisser la biodiversité revenir », avance l’écologue.

Le retour des végétaux en ville

Côté ville donc, la situation des plantes s’améliore. Avec quatorze espèces végétales en moyenne, la diversité y est deux fois supérieure à la moyenne régionale. Mieux encore, dans les interstices de la cité, au pied des arbres, des murs, sur les toits, la nature reprend ses droits : on observe une augmentation de 90 % des végétaux en sept ans.

Mais on partait de très loin. L’effet de l’arrêt des pesticides est manifeste. D’ici à 2017, l’ensemble des collectivités locales devront cesser d’y avoir recours pour leurs voiries, espaces verts, bois, et les particuliers devront faire de même dans leurs jardins à compter de 2019.

Et le retour des insectes pollinisateurs se fait attendre. Les papillons, en particulier, sont ceux qui souffrent le plus de l’urbanisation. On n’en trouve guère que quatre espèces dans les parcs et jardins.

Aux yeux d’Audrey Muratet, c’est bien la preuve que la perte de la biodiversité n’est pas une fatalité. « Il existe des tas de choses à faire, assure-t-elle. On pourrait par exemple lutter contre la monotonie des paysages dans les grandes cultures, car le déclin des papillons est trois fois moindre dans les parcelles entourées de haies, par rapport à celles qui n’ont aucune bordure végétale. »

Quant aux forêts franciliennes, le bilan y est plus positif. Certes, la population d’oiseaux y diminue aussi, mais ce milieu affiche globalement un « relatif bon état », selon Natureparif. Pas de mystère : si la biodiversité y est plutôt bien préservée, elle le doit à « une protection juridique forte ».