Adeline Hazan, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, à l’Elysée le 5 mars 2015. | JACQUES DEMARTHON/AFP

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté interpelle les députés et sénateurs sur les fouilles à nu dans les prisons. A quelques heures de la réunion, mercredi 11 mai en fin de journée, de la commission mixte paritaire chargée de trouver un compromis entre les versions votées par les deux assemblées du projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et améliorant les garanties de la procédure pénale, les députés et sénateurs qui y siégeront ont reçu un courrier d’Adeline Hazan.

Dans cette lettre de cinq pages, que Le Monde a pu consulter, Mme Hazan met en garde les parlementaires sur l’article du projet de loi qui autorise les directeurs de prison à procéder à des fouilles à nu de détenus de façon beaucoup plus fréquente et généralisée qu’aujourd’hui. La Contrôleure générale y voit « une régression importante de notre droit au regard du respect des droits fondamentaux ».

Lutter contre les téléphones et stupéfiants en cellule

Cet article n’était pas prévu à l’origine dans ce projet de loi et n’a d’ailleurs pas été évoqué lors de sa discussion en première lecture à l’Assemblée nationale. Il a été introduit par voie d’amendement devant le Sénat, le 5 avril par Jean-Jacques Urvoas. Le garde des sceaux veut trouver un compromis pour renforcer le recours à ces fouilles tout en respectant les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Celle-ci ne condamne pas les fouilles à nu en tant que telles, mais elle juge que leur usage répété et sans discernement est contraire à la Convention des droits de l’homme et à son article 3 sur les traitements inhumains ou dégradants.

L’objectif affiché par M. Urvoas est de lutter contre l’introduction en détention de nombreux objets interdits, essentiellement des téléphones portables et des produits stupéfiants. Selon son amendement, ces fouilles à nu ne pourront être ordonnées par le chef d’établissement que « dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de la personnalité des détenus ». A la condition qu’« il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction au sein de l’établissement pénitentiaire d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens ».

Une nouvelle disposition « disproportionnée »

Dans son courrier, Mme Hazan prévient que cette nouvelle disposition, « disproportionnée », est « susceptible d’exposer la France à de nouvelles condamnations devant la CEDH ». Surtout, elle révèle que le recours à ce type de fouilles « est d’ores et déjà pratiqué de façon extensive dans les établissements pénitentiaires ». Elle mentionne le cas d’un établissement visité par ses services en 2014 dans lequel ces fouilles sont pratiquées de façon systématique à l’encontre des détenus après les visites au parloir. Dans un établissement francilien, ce sont 73 % des détenus qui sont ainsi fouillés après les parloirs. Difficile d’y voir une mesure individualisée, exceptionnelle et spécialement motivée, comme l’exigent la loi de 2009 et les directives de la chancellerie de 2013.

Quant au côté humiliant de ce type de fouille, il n’est pas utile d’entrer dans les détails. Mais Mme Hazan souligne ici et là des fouilles à nu pratiquées dans des lieux inappropriés, comme des couloirs, des douches ou même des locaux à poubelles ! Sans toujours que ce soit à l’abri des regards d’autres détenus ou des personnels.

Avant que la commission mixte paritaire ne tranche, les députés et sénateurs ainsi que les présidents des commissions des lois des deux assemblées sont avertis d’un dernier argument par la Contrôleure des prisons : « aucune donnée significative ne permet de démontrer que () un cadre restrictif de recours aux fouilles a eu pour conséquence d’augmenter l’introduction d’objets interdits en détention ». Autrement dit, le sujet de la sécurité en prison serait ailleurs.