Joao Havelange, ex-président de la FIFA (1974-1998)

Tournée vers son 66Congrès, programmé à Mexico cinq jours plus tard, la Fédération internationale de football (FIFA) n’enverra que deux représentants à Rio de Janeiro, dimanche 8 mai, pour célébrer le centième anniversaire de son ancien président (1974-1998) Joao Havelange. Né en 1916 dans la cité carioca, l’ex-empereur du ballon rond recevra la visite de son ancien collaborateur Walter Gagg, directeur de l’instance et doyen de ses salariés. L’ex-assistante du « Docteur » Havelange, Marie-Madeleine Urlacher, fera elle aussi le déplacement jusqu’au Brésil.

« Il n’y aura pas de cérémonie officielle, assure-t-on au siège de la FIFA, à Zurich. On sera durant la semaine du Congrès. On fera mention sur notre site de cet anniversaire, très important pour M. Havelange. Il fait partie de l’histoire de la FIFA. » Elu le 26 février à la présidence de l’organisation, le Suisso-italien Gianni Infantino ne rendra ainsi pas directement hommage à son lointain prédécesseur. « Le président Infantino n’a pas travaillé avec lui, comme la majorité des actuels salariés de la FIFA. Havelange, c’était une certaine époque. », souffle-t-on en interne.

Force est de constater que la figure du dirigeant brésilien ne fait guère l’objet d’une forme de culte à la FIFA, minée par les affaires de corruption depuis son règne. « L’œuvre de Joao Havelange est très importante, précieuse et inoubliable, assure, sous couvert d’anonymat, un haut cadre de la FIFA. Mais la nouvelle génération ne connaît pas cet homme formidable et ne peut donc pas le juger objectivement. Quant au nouveau président… Quel genre d’hommage peut-il lui rendre ? »

Blatter ne fera pas le déplacement

« C’est assez pauvre en matière de représentation. Personne au comité exécutif ne va faire le déplacement, fait remarquer Guido Tognoni, ex-chef de presse de Havelange, et qui a également travaillé sur le sponsoring et les cas juridiques des transferts. C’est pourtant Havelange qui a fait la FIFA moderne. C’était un grand seigneur, le plus de grand des fonctionnaires latins du sport, avec Samaranch au Comité international olympique. Sous son règne, la FIFA est passée du statut d’association pauvre à celle d’association riche. Cette transformation, c’est celle de Havelange. Il a eu une vision globale, africaine et américaine. C’est un soldat de ce sport. »

Suspendu six ans par le comité d’éthique de la FIFA, Sepp Blatter ne se rendra pas non plus à Rio pour célébrer l’anniversaire de son prédécesseur, dont il fut le secrétaire général et bras droit durant dix-sept ans (1981-1998) avant de lui succéder (1998-2015) à la tête de l’instance. Alors qu’il ne quitte plus sa Suisse natale depuis le coup de filet de la justice américaine à la FIFA du 27 mai 2015, le patriarche de 80 ans attend son audition devant le Tribunal arbitral du sport (TAS). Lequel rendra sa décision, lundi 9 mai, quant au cas Michel Platini, qui a écopé de la même sanction que M. Blatter.

Jean-Marie Faustin Goedefroid dit « Joao » Havelange avait été hospitalisé, fin novembre 2015, pour des problèmes respiratoires. « C’est un homme qui aimait le pouvoir et je pensais qu’il ne vivrait pas longtemps après son départ en 98. Mais il est encore là », s’enthousiasme Guido Tognoni. Le destin de cet ancien nageur et joueur de water-polo, qui a participé aux éditions 1936 et 1952 des Jeux olympiques, est intrinsèquement lié au boom économique de la FIFA, devenue au XXIsiècle un monstre tentaculaire.

Une vision universaliste du football

Diplômé en droit, Joao Havelange devient, en 1948, directeur juridique à la Viaço Cometta, compagnie d’autobus — qu’il dirigera durant cinq décennies —, dont l’âge d’or coïncide avec la dictacture militaire au Brésil (1964-1985). Ses liens troubles avec Castor de Andrade, parrain de la mafia à Rio, son train de vie fastueux et son luxueux appartement situé dans le quartier chic de Leblon alimentent notamment sa légende noire.

Président de la Confédération brésilienne de football (CBF) de 1958 à 1973, il voit la Seleçao de Pelé remporter trois Coupes du monde (1958, 1962, 1970) sous son mandat. En 1974, il lorgne le trône de l’Anglais Stanley Rous, patron de la FIFA depuis 1961. Bénéficiant notamment du soutien des pays africains et sud-américains, il bat dans les urnes l’ex-arbitre et prend le contrôle d’une organisation qui avait toujours été présidée par un Européen depuis sa fondation en 1904.

Durant son règne, Havelange arpente sans cesse le globe pour élargir les frontières du football, pourfend « l’européo-centrisme », multipliant les programmes de développement en faveur des fédérations pauvres. Epaulé dès 1975 par Sepp Blatter, alors directeur du développement, Havelange noue de juteux contrats avec les marques Adidas et Coca-Cola et réforme à tour de bras. Il crée notamment la Coupe du monde féminine, celles des moins de 20 ans et des moins de 17 ans, et augmente (de seize à trente-deux) le nombre d’équipes qualifiées pour la phase finale du Mondial. Une expansion teintée de clientélisme qui conforte sa mainmise sur l’instance.

Joao Havelange et Joseph Blatter, en 1996.

« C’est Monsieur Havelange, quand il m’a engagé, qui m’a dit : Il faut faire du football un langage universel”. Parce qu’en 1975, on organisait du football en Amérique du sud et en Europe, En Afrique très peu, en Asie très peu. Je me suis mis là-dedans et on fait vraiment du football un langage universel », confiait Sepp Blatter au Monde, en décembre.

« C’était un homme de fer »

Qualifiés « d’autocrate » par ses adversaires, il est réélu sans opposant à cinq reprises, se contentant de « consulter  » son comité exécutif tout en verrouillant son royaume à triple tour. A la séditieuse Union des associations européennes de football (UEFA) dirigée dès 1990 par le Suédois Lennart Johansson, il oppose sa vision universaliste et égalitaire du football.

« C’était un homme du pouvoir total. Tout le monde avait peur de lui, de son regard, raconte Guido Tognoni. C’était un homme de fer. Il a été l’architecte du maintien de son propre pouvoir. Personne ne connaît vraiment Havelange personnellement. Havelange était un sportif. Il racontait qu’il nageait 4 km le matin… Comment peut-on faire ça quand on est président de la FIFA ? Il donnait deux interviews par an et il choisissait deux, trois journalistes. Il maintenait la distance, détestait la presse. »

En 1996, Havelange annonce qu’il quittera le pouvoir lors du Mondial 1998, organisé en France. A 82 ans, il lègue un immense empire, laissant en caisse « quatre milliards de dollars », de son propre aveu. « En 1994, Blatter a essayé de massacrer Havelange alors qu’il lui devait tout, se souvient Guido Tognoni. Sans lui, il serait resté un vendeur de montres. C’est grâce à lui que Blatter est devenu Blatter. Havelange a alors promis aux présidents des Confédérations d’élargir le Mondial à 32 équipes pour rester en place encore quatre ans. Et il ne pouvait pas se débarrasser de Blatter car ce dernier connaissait tous les secrets d’ISL. »

« Un ganster avec beaucoup de style »

ISL comme International Sport and Leisure, la société chargée de revendre les droits marketing des Mondiaux de 1982 à sa faillite en 2001. Créée par le fondateur d’d’Adidas Hörst Dassler, cette compagnie a versé des commissions et autres pots-de-vin colossaux (105 millions d’euros) à plusieurs dignitaires de la FIFA, dont Havelange, alors que les montants des droits télévisés explosaient. Cette affaire a été toutefois classée sans suite, en 2010, par le parquet du canton de Zoug (Suisse). Ce dernier précisait alors que la « procédure a été arrêtée car les accusés ont accepté de payer les 5,5 millions de francs suisses fixés par le procureur au titre de compensation. »

En 2011, Havelange démissionne du Comité international olympique dont il était membre depuis 1963. Selon la BBC, le patriarche aurait touché, en 1997, un million de dollars de pots-de-vin via ISL. En 2013, le Brésilien est accusé par le comité d’éthique de la FIFA d’avoir reçu d’ISL plusieurs dizaines de millions de dollars de pots-de-vin. Il quitte alors son poste de président honoraire de l’instance mondiale, démissionnant à l’instar de son gendre Ricardo Teixeira, membre du comité exécutif de la FIFA et ex-patron de la CBF (1989-2012).

« Comme Blatter, Havelange était un gangster mais il avait beaucoup de style, poursuit Guido Tognoni. Il n’y a jamais eu de preuves que Blatter ait touché de l’argent mais il a cultivé le système de Havelange. Mais il n’avait pas son prestige puisqu’il avait été employé. Aujourd’hui, les employés actuels sont des technocrates qui ont honte de la corruption et étaient plus liés à Blatter. »

L’héritage de Havelange est encore plus douloureux au Brésil. Ricardo Teixeira, José Maria Marin, président de la CBF de 2012 à 2015, et son successeur Marco Polo Del Nero : les dauphins et proches du « Docteur » ont tous été récemment inculpés par la justice américaine. « Havelange avait beaucoup de qualités, il avait une stature. Je l’admirais, je l’aimais malgré tout, admet Guido Tognoni. Il était à double face. »

Selon son porte-parole, l’ex-président de la FIFA « espère assister à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques » de Rio, programmée le 5 août. Prévu pour accueillir les épreuves d’athlétisme et de football, le Stade Joao Havelange sera sobrement rebaptisé « Stade olympique » durant la compétition.