Des militants du collectif Bure-Stop, place de la République à Paris, le 15 mai. | GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Discrètement, le projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure (Meuse) creuse son sillon. Mardi 17 mai en fin d’après-midi, le Sénat doit examiner une proposition de loi, déposée par les sénateurs meusiens Gérard Longuet (LR) et Christian Namy (UDI-UC), sur « les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue ». Pour les opposants, qui dénoncent un débat « tronqué », cette proposition de loi vise en fait à « donner le feu vert au stockage souterrain ».

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Le projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) est destiné à enterrer dans une couche d’argile, à 500 mètres de profondeur, 80 000 m3 de résidus les plus radioactifs et les plus tenaces (des centaines de milliers ou des millions d’années pour certains) produits par le parc électronucléaire français. Selon le calendrier actuel, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) doit déposer une demande d’autorisation de création en 2018, en vue d’une mise en service en 2025 et d’une exploitation pendant au moins cent ans. Celle-ci doit débuter par une phase pilote de cinq à dix ans. Le coût prévisionnel de l’installation a été évalué par la ministre de l’environnement et de l’énergie, Ségolène Royal, à 25 milliards d’euros.

Conditions préalables

La loi du 28 juin 2006 sur la gestion durable des déchets radioactifs a toutefois fixé un préalable : le décret autorisant la création du site devra avoir été précédé d’une loi « fixant les conditions de réversibilité » du stockage géologique. L’enfouissement des déchets radioactifs, conditionnés dans des matrices spéciales et installés dans des alvéoles souterraines, se fera en effet sur une période de plus d’un siècle, avant la fermeture définitive de l’installation. Pendant cette période, les fûts radioactifs devront pouvoir être récupérés si nécessaire. Mais la notion de réversibilité va plus loin. Dans un document de janvier 2016, l’Andra la définit comme « la capacité à offrir à la génération suivante des choix sur la gestion à long terme des déchets radioactifs », en fonction des progrès techniques notamment.

C’est cette approche que reprend le texte élaboré par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. Elle établit que « la réversibilité est la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ».

Cette définition étant donnée, la proposition de loi considère donc que plus rien ne s’oppose à l’avancée du projet Cigéo. Elle précise simplement que l’exploitation du centre débutera « par une phase industrielle pilote permettant de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation, notamment par un programme d’essais in situ ».

« Cette proposition de loi est portée par des élus d’engagements politiques différents, mais qui ont en commun de ne pas laisser aux générations à venir (…) le soin d’assumer seules les contreparties [la gestion des déchets] de nos avantages accumulés pendant la période de production de nos réacteurs [nucléaires] », expliquent les sénateurs qui en sont à l’origine.

Passage en force

Pour les opposants au projet, dont la coordination Bure-Stop et le réseau Sortir du nucléaire, l’objectif des parlementaires est tout simplement de lancer au plus vite la construction du site d’enfouissement. Ils dénoncent, d’abord, l’absence de réel débat sur la réversibilité et ses enjeux. Certes, la proposition de loi prévoit qu’à l’issue de la phase pilote, donc vers 2035, « le gouvernement présente, le cas échéant, un projet de loi adaptant les conditions d’exercice de la réversibilité du stockage ». Mais, soulignent les associations, la loi sur la réversibilité aurait normalement dû intervenir avant l’autorisation d’exploitation.

En outre, à l’issue du débat public national de 2013 sur le projet Cigéo, une conférence de citoyens avait jugé nécessaire « une phase d’expérience grandeur nature » ; ce qui est très différent d’une « phase industrielle pilote », telle que la projette l’Andra. Les opposants considèrent aussi que le Sénat « fait l’impasse sur les risques du stockage géologique », tels que le déclenchement d’un incendie dans une galerie souterraine. Enfin, ils chiffrent à « 5,7 milliards d’euros, soit 95 % des provisions actuelles », le coût de la phase pilote. « Lancer de façon précipitée ce projet, alors que le débat sur la réversibilité a été tronqué, que tous les risques ne sont pas pris en compte et que le reste du financement n’est pas assuré, c’est une fuite en avant irresponsable », estime Corinne François, du collectif Bure-Stop 55.

Le projet Cigéo s’était déjà glissé, de façon subreptice, dans la loi de transition énergétique puis dans la loi Macron, avant d’en être retiré devant la colère des écologistes et des associations. Après son examen au Sénat en première lecture, la nouvelle proposition de loi devra passer devant l’Assemblée, puis, selon toute vraisemblance, revenir devant les deux chambres, selon un calendrier qui n’est pas encore arrêté.

En attendant, les travaux du laboratoire souterrain de Bure, voisin mais distinct du futur site d’enfouissement, se poursuivent. Le 26 janvier, un technicien y a trouvé la mort, à la suite d’un éboulement dans une galerie qui a été fermée. Une enquête est toujours en cours.