Le ministre français de la défense Jean-Yves Le Drian en visite à N’Djamena, le 29 avril 2016, est reçu par le président Idriss Déby. | BRAHIM ADJI/AFP

N’Djamena, capitale du Tchad, est devenue une ville très fréquentée par les politiques français. Fin avril, Nathalie Kosciusko-Morizet, la candidate à la primaire de la droite et du centre qui entreprenait un déplacement de quatre jours auprès de l’armée française, est passée par le Tchad pour une « plongée au cœur du dispositif Barkhane », l’opération française chargée de lutter contre les groupes armés djihadistes dans la bande sahélo-saharienne. Quelques jours plus tard, c’était au tour du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, de faire une halte à N’Djamena au cours d’un voyage de trois jours sur le continent. Il s’est entretenu en tête à tête avec Idriss Déby, le président qui vient d’être réélu au cours d’une élection contestée.

L’ancienne ville-garnison créée au début du XXe siècle par les militaires français qui ont colonisé le Tchad n’a jamais cessé d’être une zone stratégique pour les Français. Les opérations extérieures se sont succédé quasiment sans interruption depuis l’indépendance du pays. Aujourd’hui, le Tchad est le principal allié de la France dans la région et Idriss Déby dispose de soutiens importants à Paris, notamment dans les milieux militaires.

Partis en mission… sans prévenir

L’armée tchadienne est une armée à deux vitesses. D’un côté, des corps d’élite qui se battent au Mali contre Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et ses affidés et dans le bassin du lac Tchad contre Boko Haram. Cette armée bien équipée et bien entraînée bénéficie d’importants financements de la France et des Etats-Unis, qui ferment les yeux sur ses pratiques brutales et sa composition, essentiellement des proches du président Déby. De l’autre, il existe une armée qui dispose de peu de moyens et dont le recrutement est plus divers du point de vue de l’origine ethnique et des positions politiques.

Si les Français estiment les militaires engagés au Mali et au lac Tchad, ils ne se soucient guère du sort des « autres » militaires, ceux qui ont eu le mauvais goût de ne pas voter pour le président Idriss Déby lors de l’élection du 9 avril, et dont on est sans nouvelles depuis.

Depuis un mois, les organisations de défense des droits humains, notamment la Ligue tchadienne des droits de l’homme et Amnesty International, ont alerté sur la « disparition » de militaires, de gendarmes et de policiers. Ils seraient au moins vingt-trois. Quatre personnes ont été présentées à la télévision nationale comme preuve qu’elles sont encore en vie, mais leurs proches ignorent où elles se trouvent et quand elles reviendront.

A propos des autres militaires présumés disparus, le ministère de la sécurité a répondu aux familles inquiètes qu’ils étaient partis en mission sans prévenir leurs proches. Une déclaration qui n’a rien de rassurant.

Impunité du pouvoir

Les proches des militaires sont d’autant plus inquiets que ce ne serait pas la première fois que des militaires et des civils seraient victimes de « disparitions forcées ». Il y a dix ans, début avril 2006, des militaires tchadiens soupçonnés de sympathie pour le mouvement rebelle qui s’apprêtait alors à attaquer la capitale ont été arrêtés et n’ont jamais reparu. Un peu moins de deux ans plus tard, c’était au tour de l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh d’être victime d’une disparition forcée.

Le Tchad est-il en train de renouer avec les assassinats et les disparitions forcées ? Si les militaires et policiers arrêtés n’ont pas disparu, comme le prétend le pouvoir, où sont-ils ? Comment sont-ils traités ? Quand réapparaîtront-ils ?

S’ils ont effectivement disparu, les alliés du Tchad pourront-ils encore faire comme s’ils ne savaient rien ? L’ambassadrice américaine auprès des Nations unies, Samantha Power, a évoqué le sujet lors d’une rencontre avec le président Déby à N’Djamena.

Côté français, aucune déclaration publique. Le silence de la France de François Hollande s’inscrit dans une histoire longue d’alliances avec les hommes forts du Tchad. Si ce silence dure, on aura une nouvelle confirmation que la « guerre contre le terrorisme » a un coût élevé pour les Tchadiens et les Tchadiennes, militaires et civils, qui font les frais de l’impunité du pouvoir.

Marielle Debos est maîtresse de conférences en sciences politiques à l’Université Paris-Ouest Nanterre, chercheuse à l’Institut des sciences sociales du politique (ISP).