Manifestation unitaire des cheminots du public et du prive pour peser sur les negociations et l harmonisation des conditions de travail dans le secteur ferroviaire à Paris le 10 Mai | XAVIER DE TORES / HANSLUCAS

Ils ne désarment pas. Pourtant, le passage en force par l’Assemblée nationale pour faire adopter la loi El Khomri, en recourant à l’article 49-3, rend plus que jamais improbable le retrait du texte pour lequel les syndicats contestataires se mobilisent depuis trois mois. Marquée par des incidents violents lors des derniers rassemblements, cette mobilisation s’essouffle.

Le 12 mai, la cinquième journée d’action n’a rassemblé, selon le ministère de l’intérieur, que 55 000 manifestants à travers la France (la CGT n’ayant pas donné de chiffre global) contre 390 000 le 31 mars. Malgré tout, les sept organisations – CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL et FIDL – ont appelé à « deux nouvelles journées de grèves et de manifestations », les 17 et 19 mai. « Je pense qu’effectivement il y a encore une capacité non seulement à mobiliser, mais à faire bouger le gouvernement », a assuré, Jean-Claude Mailly, lundi 16 mai sur RTL.

L’intersyndicale a annoncé une pluie de grèves dès cette semaine. « Des secteurs professionnels, a-t-elle indiqué, ont déposé des préavis de grève, parfois reconductibles, dès le 16 mai au soir : transport routier, Aéroport de Paris, cheminots, marins, ports et docks. D’autres travaillent à de fortes mobilisations, y compris par la grève : commerce, énergie, services publics, chimie»

A la SNCF, la CGT, appuyée par SUD-Rail, a appelé à une grève reconductible illimitée, chaque mercredi et jeudi, pour peser d’abord sur les négociations au sujet des conditions de travail. Mais les cheminots participeront ainsi au mouvement contre la loi El Khomri, en gonflant les rangs des manifestants. La grève des routiers, qui craignent une remise en cause du paiement des heures supplémentaires, devrait toucher mardi, selon FO, le Nord et les villes de Nantes, Marseille et Bordeaux. La CGT envisage de bloquer les ports du Havre et de Nantes-Saint-Nazaire. Des grèves pourraient aussi toucher le trafic aérien, La Poste, la RATP, les banques et les assurances.

Un appel à la grève sans écho

En utilisant l’arme des grèves reconductibles, la CGT, suivie par FO, qui est historiquement sa sœur ennemie depuis qu’elle a fait scission en 1947, joue son va-tout. Lors de son récent congrès confédéral, à Marseille du 18 au 22 avril, de nombreux militants de la centrale, venus pour la plupart de l’extrême gauche, avaient réclamé une grève générale reconductible jusqu’au retrait de la loi El Khomri.

Philippe Martinez, qui a pourtant opté pour une stratégie radicale de contestation du gouvernement, avait dégagé en touche. Le secrétaire général de la CGT avait fait adopter à la quasi-unanimité – un quart des délégués ne prenant pas part au vote – un appel à « amplifier la riposte », dès le 28 avril, où une journée d’action était prévue. Au programme, la tenue d’assemblées générales dans les entreprises « pour que les salariés décident, sur la base de leurs revendications et dans l’unité, de la grève et de sa reconduction pour gagner [le retrait du texte] ». Mais, depuis le 28 avril, cet appel mi-chèvre mi-choux n’a eu aucun écho.

La Fédération nationale des industries chimiques de la CGT s’est portée en pointe de la contestation. Le 13 mai, elle a appelé à un « blocage progressif des produits pétroliers » du 17 au 19 mai, et à une grève reconductible sur tous les sites pétroliers, à parti du 20 mai. Au sein de la CGT, cette fédération est l’une des plus radicales. Comme la fédération agroalimentaire, elle est membre de la Fédération syndicale mondiale (FSM) qu’elle a rejoint en 2014. La FSM est l’internationale syndicale communiste. La CGT l’a quittée en 1995, et est aujourd’hui membre de la Confédération syndicale internationale (CSI), comme la CFDT, FO et la CFTC. La FSM, devenue fantomatique, a tenu son dernier congrès à Damas, en Syrie.

En 2010, à la fin du conflit sur la réforme des retraites, la fédération CGT de la chimie avait bloqué plusieurs raffineries de pétrole. Nicolas Sarkozy avait alors réquisitionné les salariés en grève, les menaçant d’amendes et de peine de prison. la CGT avait porté plainte, en 2011, devant le comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail qui avait enjoint à la France de ne plus recourir à de tels actes.

Une cause perdue ?

Avec cette tentative de lancer des grèves reconductibles, la CGT joue gros, et utilise ses dernières cartouches. Pour que celles-ci puissent être éventuellement efficaces, cela suppose deux conditions. La première est qu’elles bloquent une activité (transports, dépôts de carburant). Une grève minoritaire dans une entreprise n’aura aucun effet. La seconde est qu’elle s’inscrive dans la durée, ce qui suppose de tenir jusqu’au 13 juin, date à laquelle la loi El Khomri doit être débattue au Sénat.

M. Martinez, qui a toujours écarté l’idée d’une grève générale, est conscient de la difficulté à mobiliser. « Le processus de renforcement de la mobilisation est en train de se mettre en œuvre, observait-il dans l’Humanité du 12 mai. Ce sont des décisions difficiles à prendre, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton» Mais, voulait croire le secrétaire général de la CGT, « les salariés semblent décidés à s’engager dans un mouvement plus dur» Le pari est redoutable. Dans une centrale qui ne syndique, d’après ses propres chiffres, que 2,62 % des salariés, quelle proportion sera-t-elle prête à subir des baisses de salaire pour une cause qui parait déjà perdue, comme en 2010 sur la réforme des retraites ?