Musiques Métisses à Angoulême. | ERIC AIREY

Certains ont baissé leur cachet, d’autres ont joué gratuitement. Musiques Métisses a pris cette année des allures de concert caritatif. Les artistes sont venus porter secours et assistance à un festival en danger, dont la 41e édition a finalement pu se tenir, à Angoulême (Charente), les 14 et 15 mai. Malgré l’annonce, fin 2015, du dépôt de bilan de cet emblème des musiques du monde, en rupture de trésorerie avec un déficit cumulé de 140 000 euros sur trois exercices et que la Ville et le Département (revenu autour de la table des subventionneurs, depuis) décidaient de ne plus accompagner.

La mobilisation, orchestrée notamment par l’association Zone Franche fédérant des professionnels de cette filière musicale et Live-Boutique, un regroupement de producteurs de spectacles indépendants, a porté ses fruits. Plutôt que de prononcer la liquidation de la structure, le tribunal de grande instance d’Angoulême avait opté, le 28 janvier, pour un redressement judicaire, sous contrôle d’un mandataire. Les artistes ont répondu présent, permettant à Patrick Duval, programmateur du Festival et successeur de Christian Mouset, son fondateur, à cette tâche, de monter, en un temps record, un programme attractif et de qualité, avec entre autres, les enchanteurs Ala.ni, Ballaké Sissoko & Vincent Segal, les toniques chiliens Chico Trujillo et en tête d’affiche, Kassav’, l’infatigable – plus de trente-cinq ans de carrière – et toujours efficace groupe caribéen (« les James Brown des Caraïbes » pour Vincent Segal).

Concentré sur deux jours (au lieu de trois), respectant un des fondamentaux voulus par le créateur de Musiques Métisses, en proposant, à côté des concerts payants donnés à la Nef, salle de musiques actuelles d’Angoulême (où le festival a été déplacé pour éviter le surcoût occasionné par l’aménagement de l’île de Bourgines, son lieu de vie habituel), une scène avec des concerts gratuits.

« Un festival de résistance »

Le chanteur et guitariste Blick Bassy s’y est produit en ouverture le samedi 14 mai après-midi. Il s’est dit heureux d’être là, fier de participer et de soutenir ce festival. Blick Bassy interprète, en solo, sa propre lecture du blues, en bassa, sa langue natale (une des 260 parlées au Cameroun), s’accompagne au banjo ou à la guitare, reprend le répertoire de son album Akö (un de nos coups de cœur en 2015), paru sur le label No format. Sa voix et sa musique qui transportent les oreilles au-delà de l’ordinaire, certains les découvrent ici. L’auteure belge Lieve Joris (Sur les ailes du dragon, paru en 2015 chez Actes Sud) nous fait partager son enthousiasme. Elle est l’une des invitées de Littératures Métisses, les rencontres littéraires orchestrées par Bernard Magnier, organisées chaque année dans le cadre du festival musical.

Blick Bassy (qui vient, lui, de sortir son premier roman chez Gallimard, Le Moabi Cinema) parle sur scène de transmission, d’exemplarité. Des messages qui prennent tout leur sens à Musiques Métisses. Lui succédant sur scène, le Brésilien à la guitare et à la voix soyeuses Tigana Santana, accompagné par le jeu délicat du percussionniste Inor Sotolongo, se dira honoré de participer à ce « festival de la résistance qui sait montrer la richesse métissée de l’être humain, incite à ouvrir les oreilles, et pas seulement les oreilles physiques, à l’altérite créative des autres cultures que la sienne. »

Un déluge sonore

Le créatif musicien et chanteur franco-libanais Bachar Mar-Khalifé, accompagné par Dogan Poyraz (batterie) et Jerôme Arrighi (basse), termine son concert, le lendemain, dans la salle de la Nef, par un déluge sonore. Un cri, une rage qui explose ? Peut-être, nous explique plus tard le musicien dont l’album Ya Balad (In Finé) a été censuré par les autorités, en avril, au Liban, les paroles de sa chanson Kyrie Eleison étant accusées de porter « atteinte à l’entité divine ». Bachar Mar-Khalifé a chanté sa chanson au Liban en avril, où il donnait son premier concert là-bas. Il a chanté ce titre à Musiques Métisses, y redemandant à Dieu de « nous ficher la paix ».

« Je l’ai chantée à Beyrouth comme je la chanterai partout où je voudrai crier un ras le bol des institutions politiques ou religieuses qui veulent régir nos vies comme on vivait au Moyen Âge, crier mon humanité face aux appareils de répression des esprits, face à la pauvreté intellectuelle imposée par un modèle de société où l’argent est la référence unique. Crier aussi mon être, le refus de me soumettre, à qui que ce soit ou à quoi que ce soit », a-t-il écrit sur sa page Facebook, le 13 avril. « On nous oppresse, on nous dit de ne pas parler trop fort. Ce cri, c’est un message de liberté que je veux exprimer, nous confie Bachar Mar-Khalifé, un message qu’on ne peut pas faire jaillir avec une telle force ailleurs que dans un concert, un festival comme Musiques Métisses ».

Kassav’ en concert au Zénith de Paris du 27 au 29 mai ; Ballaké Sissoko et Vincent Segal à Abscon (59), le 28 mai, au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, le 31 mai ; Bachar Mar-Khalifé à Biarritz (64), le 18 mai, à Périgueux (24), le 19 mai.