Par Collectif

Le jeudi 28 avril dernier, vers minuit, place de la République, un certain nombre d’étudiant(e)s de l’Ensba ont été les victimes d’une agression, gratuite mais manifestement préméditée, d’une rare violence. Les coupables, comme l’attestent de nombreuses images accessibles à tous, sont les agents d’une compagnie de CRS. Aucune provocation de la part des étudiant(e)s ne motivait ces voies de fait, et ils n’eurent pas le temps, assaillis par surprise, d’y opposer de véritable résistance. Des films, des photos, des certificats médicaux et le procès-verbal de leur plainte auprès de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) démontrent la gravité des faits. Leur contexte est connu : la police avait décidé de façon unilatérale de vider coûte que coûte la place de la République pour mettre fin aux Nuits debout. Le seul tort des étudiants brutalisés, et des amis venus leur prêter main-forte, était d’y construire un « château commun » avec des matériaux de fortune.

Or cette intervention artistique dans la ville, à la fois généreuse, festive et pacifique, avait été décidée collectivement à l’école. Elle avait été non seulement encouragée, mais accompagnée par plusieurs d’entre nous, sur la place, le jour même. Ce saccage et ce tabassage atteignent donc l’Ensba dans son ensemble. Ils bafouent ses principes et compromettent sa mission : proposer un enseignement ouvert sur le monde extérieur et assurer la protection des étudiants et de leur travail.

Mais cette bavure n’est pas isolée, loin de là. Depuis les premières manifestations de mars dernier, les violences policières se sont multipliées et aggravées continûment. Tous les jours nous parviennent de nouveaux témoignages, de nouvelles preuves, de nouvelles protestations émanant d’enseignants, de parents d’élèves, de militants et de simples manifestants. Nombreuses sont les images filmées qui montrent des fonctionnaires de police frappant des manifestants, parfois mineurs, déjà menottés ou à terre. Même dans les rangs de la police on reconnaît que ces dernières semaines ont connu un niveau de violence dans la répression – et de sévérité sur son versant légal – jamais atteint depuis des décennies. La composition et l’usage de l’armement des CRS et des gendarmes mobiles jouent sur les ambiguïtés de la loi et y contreviennent de fait. Enfin, la stigmatisation des « casseurs » repose sur un mensonge grossier. Un étudiant qui se protège le nez contre les gazages à bout portant, une lycéenne qui se protège la tête contre les matraquages ne sont coupables de rien. À ce ciblage arbitraire, la foule bigarrée nassée pendant des heures boulevard Diderot le jour de la fête du travail a eu raison de répliquer : « Nous sommes tous des casseurs ».

En réalité, le gouvernement dont vous faites partie, Monsieur Cazeneuve, projette dans cette figure fantasmatique le reflet de sa propre radicalisation répressive. Il flatte le bas instinct de la xénophobie en infligeant aux réfugiés un traitement plus cruel, des conditions de vie plus honteuses que chez tous nos voisins européens. Et voilà qu’aujourd’hui, pour imposer une loi rétrograde que même sa majorité parlementaire refuse de voter, il monte encore d’un cran dans la surenchère policière, et il s’en prend aux plus jeunes. Nous, enseignants et personnels des Beaux-Arts de Paris, refusons que nos étudiants paient le prix de cette dérive sécuritaire. Nous nous déclarons choqués par les violences qu’ils ont subies et solidaires de la plainte qu’ils ont déposée. Nous demandons à l’IGPN de diligenter une enquête et de sanctionner les fonctionnaires incriminés. Nous appelons toutes les victimes des violences policières de ces derniers jours dans toute la France – jeunes et vieux, lycéens, étudiants, militants et simples passants – à se constituer partie civile eux aussi, et nous espérons que le cas présent, par l’écho qu’il peut rencontrer, les y encouragera. Contre l’intimidation systématique, les gazages massifs, les matraquages arbitraires, les brimades et les tirs tendus de flash-balls, nous réaffirmons le droit à manifester, le droit à construire des abris pour y débattre, le droit à investir l’espace public pour le réinventer.

Pascale Accoyer, Jean-Michel Alberola, Patrice Alexandre, Pierre Alferi, Jacques Aumont, James Blœdé, Farid Boulechlouche, Marie José Burki, Sabine Cassard, Elsa Cayo, Claude Closky, Jean-François Chevrier, Philippe Comar, Hélène Delprat, Daniel Dobbels, Élie During, Tim Eitel, Sylvie Fanchon, Patrick Faigenbaum, Dominique Figarella, Dominique Gauthier, Gilgian Gelzer, Bernadina Haas, Ann Veronica Janssens, Monique Jeudy-Ballini, Jean-Yves Jouannais, Tadashi Kawamata, Carole Leroy, Guitemie Maldonado, François-René Martin, Guillaume Paris, Aurélie Pagès, Marc Pataut, Bernard Piffaretti, Éric Poitevin, Nathalie Polge, Carole Quettier, Anne Rochette, Emmanuel Saulnier, Julien Sirjacq, Valérie Sonnier, Djamel Tatah, Patrick Tosani, Clélia Zernik sont tous des enseignants de l’Ensba