L’annonce vendredi 6 juin par la Chine du déblocage d’un milliard de dollars pour financer les opérations de maintien de la paix de l’ONU est la dernière étape de l’implication toujours plus grande de la Chine sur le continent. Ce fonds s’ajoute en effet aux huit mille casques bleus promis par Xi Jinping en septembre 2015 à la tribune de l’ONU et vise en priorité l’Afrique.

Qu’elle est loin l’époque où, en intégrant les Nations unies en 1971, la Chine refusait d’envoyer des troupes et de l’argent au nom de sa politique de « non-ingérence ». Depuis le début des années 1990, la Chine a commencé peu à peu à s’impliquer dans les affaires du monde. Mais 2016 marquera un véritable tournant.

Premier bataillon d’infanterie au Soudan du Sud

Outre cette annonce de Xi Jinping, Pékin déploie cette année son premier bataillon d’infanterie au Soudan du Sud. Contrairement aux autres opérations soutenues par la Chine en Afrique, il s’agit de troupes combattantes. Sept cents hommes au total, sans compter les deux cent vingt-cinq ingénieurs militaires déployés au Darfour. La présence chinoise au Soudan sous la bannière de l’ONU est de loin la plus importante en Afrique.

Un reportage de la télévision britannique BBC offre une rare plongée dans l’univers de ces casques bleus chinois. On les découvre à la manœuvre jouant les soldats de la paix à l’abri de leurs blindés. Eux qui ne connaissaient jusque-là que les champs pétrolifères du Soudan et les arcanes des ministères.

Fidèle à sa politique du chéquier, le gouvernement chinois a offert un demi-million de dollars au nouveau gouvernement du Sud et l’ambassadeur de Pékin à Juba, Ma Qiang, ne ménage pas ses efforts pour ramener tout le monde à la table des négociations.

Un intérêt économique

Pourquoi ce revirement de Pékin ? L’intérêt est d’abord économique. En 2011, 5 % du pétrole chinois provenait du Soudan du Sud. Mais depuis la reprise du conflit en 2013, le robinet à or noir ne coule plus, montrant une nouvelle fois à la Chine combien ses investissements à l’étranger sont fragiles.

La Chine a en effet investi plus de 7 milliards de dollars au Soudan avant la guerre civile et 12 milliards depuis. CNPC, le grand pétrolier chinois, a pris des participations dans la plupart des gisements du pays, acquérant 40 % du consortium soudanais Greater Nile Petroleum Operating Company (GNPOC).

Mais le chef de la diplomatie chinoise rejette toute arrière-pensée : « Notre médiation est le signe que nous sommes un pays responsable et il ne s’agira aucunement de défendre nos seuls intérêts », a-t-il déclaré, espérant ainsi effacer la mauvaise image qui colle à la Chine au Soudan.

Tout renégocier

Jusqu’en 2007, le Soudan représentait 40 % de la production de pétrole de CNPC à l’étranger. Une véritable manne pour la Chine dont la boulimie d’énergie ne cesse de croître. Mais en juillet 2011, l’indépendance du Soudan du Sud va sonner le glas des contrats juteux. Il faut tout renégocier. Ce qui s’annonce d’autant plus difficile que Pékin est vu comme un allié de Khartoum. A la fin de la guerre civile, beaucoup souhaitaient voir partir les Chinois.

A force de diplomatie et d’investissements dans les infrastructures du Soudan du Sud, Pékin a regagné la confiance de Juba. Autour de la nouvelle ambassade de Chine, le Beijing Juba Hotel fait figure de petit Chinatown et ferait presque oublier le Khartoum de la fin des années 1990 : cent quarante entreprises chinoises y sont implantées et deux mille trois cents expatriés chinois recensés… On imagine aisément que la reprise des hostilités ne plaît pas aux autorités chinoises qui décident de s’investir sérieusement – et rapidement – dans le règlement de la crise.

« Cette implication aujourd’hui de la Chine dans les missions de l’ONU est un moyen d’exercer son influence sur la région », explique le professeur Xue Lei, spécialiste des relations internationales. Il met en avant le concept chinois de « diplomatie préventive ». Selon lui « l’implication de la Chine au sein de l’ONU, mais aussi celle des pays émergents comme le Brésil, l’Afrique du Sud et le Nigeria, va forcément changer la façon de résoudre les conflits internationaux. Leur approche est très différente par exemple de celle des pays occidentaux en Afghanistan… » Pékin en effet ne rechigne pas à négocier avec l’ensemble des partis afin de parvenir à un consensus durable.

Soutien indéfectible au président soudanais

Mais cette vision utopique n’est pas si simple. « Les motivations de la Chine au Soudan ne sont pas purement altruistes, précise Yun Sun, chercheur à la Brookings Institution de Washington. Les médias officiels chinois aiment dire que la présence de soldats chinois au Sud-Soudan est la marque d’un pays responsable, mais en même temps la Chine joue un rôle déstabilisateur dans la région. »

Il y a d’abord son soutien indéfectible au président soudanais Omar Al-Béchir. Sous le coup, depuis 2009, d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre au Darfour, et depuis juillet 2010 pour génocide, il est pourtant qualifié de « vieil ami du peuple chinois » par le président Xi Jinping lors de sa dernière visite à Pékin en septembre 2015. Il y a ensuite les livraisons d’armes qui se poursuivent malgré le conflit et l’embargo.

De l’huile sur le feu

Norinco a ainsi livré l’équivalent de 38 millions de dollars d’armes légères aux belligérants ajoutant de l’huile sur le feu d’un conflit qui a repris en décembre 2013 malgré l’indépendance du Soudan du Sud. La Chine, tout comme la Russie et l’Angola s’opposent toujours à des sanctions et continuent de livrer des armes aux belligérants des deux camps. « C’est bien le signe que les grandes entreprises d’Etat chinoises, comme CNPC ou Norinco, ont leur propre agenda en Afrique et ne suivent pas toujours les directives du ministère des affaires étrangères », commente Luke Patey, expert en géopolitique et auteur de The New Kings of Crude.

Un cafouillage qui explique aussi que Xi Jinping soit monté lui-même au créneau pour négocier le déploiement de ses casques bleus sur place et installer la Chine au cœur du processus de paix, malgré certaines réticences à Pékin comme à New York et Washington : 18 % du PNB sud-soudanais sont aujourd’hui liés aux échanges avec la Chine. Un commerce qui a quadruplé en 2013 mais patine depuis la reprise des combats. Le pétrole reste la principale composante et l’objectif pour Pékin et Juba est de retrouver les niveaux d’avant-guerre, soit 5 % des importations chinoises de brut en provenance du Soudan du Sud.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.