Pour l’instant, ce ne sont pas les vivats qu’il espérait. Les réactions à l’annonce du 4 mai au soir de la candidature de Moïse Katumbi à la présidentielle de la République démocratique du Congo sont tièdes, voire critiques. « Prématuré, à mon avis », lâche Félix Tshisekedi. Pourtant, le fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi et l’ex-gouverneur de l’ancienne province du Katanga s’étaient rencontrés à Paris en décembre 2015, pour évoquer une candidature commune.

Or Moïse Katumbi semble avoir pris les devants et insiste sur la nécessité d’un candidat fort face au régime Kabila à l’élection censée se tenir le 27 novembre 2016. Tout indique pourtant qu’elle pourrait prendre du retard. « Il est candidat pour quelles élections, et qui auront lieu à quelle date ? poursuit Felix Tshisekedi. Il faut d’abord s’assurer d’avoir un processus électoral crédible et à bonne date, avant de se jeter dans le bain. »

La charrue avant les bœufs

Plusieurs observateurs voient l’annonce hâtive de cette candidature comme la recherche par Moise Katumbi d’une certaine protection, alors que les forces de l’ordre ne cessent de réduire sa marge de manœuvre. Le 5 mai, la police a d’ailleurs encerclé sa résidence à Lubumbashi, faisant craindre une arrestation imminente, avant de desserrer l’étau sous pression des casques bleus de la Monusco qui avaient eux aussi pris position aux abords du domicile de l’ex-gouverneur du Katanga.

Si l’annonce de la candidature de Moïse Katumbi a pris de court une partie de l’opposition, les différents sur le rythme à tenir face au régime de Joseph Kabila et sa volonté de faire « glisser » le calendrier électoral ne sont pas nouveaux. En janvier, l’UDPS d’Etienne Tshisekedi avaient déjà jugé que Moïse Katumbi mettait la charrue avant les bœufs en plaidant pour des primaires au sein de l’opposition. Désormais, certains s’inquiètent. Le député Juvénal Munubo, de l’Union pour la nation congolaise (UNC), estime que la candidature déclarée de M. Katumbi pourrait « fragiliser » les efforts pour « pousser le pouvoir à accepter l’alternance de façon démocratique et apaisée ». Et l’élu du troisième parti d’opposition de poursuivre : « Le risque, c’est d’assister à la dispersion des opposants au lieu qu’ils unissent leurs énergies pour arracher le respect de la constitution. »

A l’inverse, le député Francis Kalombo, qui a participé à la naissance du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), dont Moïse Katumbi a été l’un des cadres, estime que le moment est bien choisi. Plus encore : le fait qu’il porte un « projet d’opposition commun » est une « très bonne chose pour la consolidation de la démocratie dans notre pays. »

Le 4 mai, la justice congolaise a annoncé qu’une enquête avait été ouverte sur la présence de « mercenaires » dans l’entourage de Moïse Katumbi, lui imputant la préparation d’une « épreuve de force » pour faire prévaloir sa démarche. Quatre personnes ont été arrêtées, dont un ressortissant américain.

Pour le ministre en charge des Relations avec le Parlement, Tryphon Kin-Kiey, c’est la perspective de devoir s’expliquer qui a poussé Moïse Katumbi à « sortir du bois ». « Il se reproche quelque chose. On annonce des poursuites et le soir, il annonce sa candidature…. C’est une fuite en avant ! Il est pris de panique, il a peur parce qu’il est assiégé. Il est le premier à se déclarer candidat pour une élection qui n’est même pas fixée… Il va faire comment ? Lui, il va organiser les élections sans la Ceni [commission électorale nationale indépendante] ? »

« L’empêcher de parler, le coincer, l’étouffer »

Moïse Katumbi avait démenti la formation de milices que lui imputaient des responsables et des medias. L’ambassade des Etats-Unis à Kinshasa semble lui donner raison. Dans un communiqué envoyé à la presse jeudi 5 mai, elle se dit « profondément préoccupée » par les « fausses allégations » prononcées la veille par le ministre de la justice Alexis Thambwe Mwamba. Contredisant le ministre, l’ambassade affirme que le citoyen américain arrêté « n’était pas armé » et que « les allégations selon lesquelles il était impliqué dans des activités mercenaires sont fausses ». « Il travaille dans une société privée américaine qui fournit des services de consultation à des clients à travers le monde entier », précise le communiqué.

Pour l’instant, Moïse Katumbi persiste et signe. « Quoi qu’il arrive, je maintiens ma candidature (…). La démocratie gagnera », a-t-il twitté, tout en déclarant à l’AFP qu’il avait sollicité la protection de l’ONU. Mais pour Timothée Mbuya, président de L’ONG Justicia, le pire est peut-être à venir. « On peut s’attendre à des faux témoignages, dit-il à propos de l’enquête sur les « mercenaires » arrêtés. Mais plus que l’emmener en justice, il semble que le pouvoir veuille à tout prix le maîtriser, l’empêcher de parler, le coincer, l’étouffer pour qu’il comprenne qu’il est indésirable, et qu’il ferait mieux d’aller en exil. »