Il y a trop d’épargne dans le monde. Mario Draghi en personne l’a rappelé, lundi 2 mai, lors d’un discours à Francfort. Vraiment ? Trop d’épargne, alors qu’on ne cesse de dire que nos économies sont trop endettées ? Dit ainsi, cela peut sembler fou. Et pourtant, c’est l’un des grands problèmes de l’économie mondiale.

Nombre de spécialistes se sont penchés sur le sujet, partant d’un constat : les taux d’intérêt ne cessent de baisser depuis le début des années 2000. Les coupables ? Les banques centrales, entend-on souvent. Il est vrai que, depuis la crise, ces dernières ont massivement baissé leurs taux directeurs. Mais le pouvoir des instituts monétaires agit essentiellement sur les taux de court terme. Leur influence sur les taux longs est plus indirecte. Or la baisse tendancielle de ces derniers a commencé bien avant 2008…

Et pour cause : en vérité, les taux longs correspondent d’abord au prix d’équilibre entre l’offre de fonds (l’épargne) et la demande de fonds (l’investissement). En la matière, la première est aujourd’hui supérieure à la seconde. Voilà pourquoi le prix d’équilibre entre les deux ne cesse de baisser. « Les taux bas ne sont pas le problème, a expliqué le président de la Banque centrale européenne. Ils sont le symptôme d’une demande d’investissement insuffisante à travers le monde pour absorber toute l’épargne disponible. »

En Europe, aux Etats-Unis et au Japon, l’épargne des entreprises augmente au détriment des salaires, ce qui mine, au passage, la consommation et donc la croissance. En Chine, les ménages mettent massivement de côté afin de financer leurs achats immobiliers. En Allemagne, ils jouent aux fourmis pour préparer leurs vieux jours.

Impasse

En face, les entreprises – y compris et surtout celles qui épargnent – renâclent à investir. Elles n’ont pas assez confiance dans l’avenir. Elles estiment que, demain, la demande des consommateurs sera insuffisante pour justifier l’achat de machines, de logiciels ou de bâtiments. De leurs côtés, certains pays, comme l’Allemagne, fuient également l’investissement, redoutant que ces nouvelles dépenses ne grèvent leurs finances publiques, oubliant, au passage, qu’elles favorisent aussi la croissance future…

Paradoxalement, il y a également des besoins d’investissement réels et criants dans certains coins d’Europe comme dans nombre de pays émergents, notamment en matière d’éducation ou d’innovation. Mais il manque les canaux qui permettent d’acheminer efficacement l’épargne vers ces besoins. Surtout, les acteurs qui accepteraient de porter le risque que ces investissements supposent font défaut…

Voilà pourquoi le monde est sur le point de sombrer dans une « stagnation séculaire », où la croissance resterait durablement faible. Comment sortir de cette impasse ? Les banques centrales ont fait leur part du travail, en adoptant des politiques ultra-accommodantes. Pour le reste, il conviendrait de s’attaquer, dans le désordre, au déclin démographique, au fonctionnement du système financier, à la répartition de la valeur ajoutée entre profits et salaires ou aux inégalités. En d’autres termes : la réponse est si complexe que les gouvernements préfèrent pour l’instant faire l’autruche…