La chanteuse de l’armée Song Zuying, devant les militaires et les ouvriers de l’îlot de Yongshu. | STR / AFP

En pleine guerre de Corée, les soldats américains accueillaient Marylin Monroe pour leur remonter le moral. Les marins et ouvriers chinois envoyés sur les récifs des Spratleys, en mer de Chine méridionale, ont, eux, l’honneur d’être divertis par Song Zuying, 49 ans, l’une des plus célèbres cantatrices de l’armée chinoise après la première dame, Peng Liyuan, aujourd’hui à la retraite.

S’il n’y a pas de combats dans les Spratleys, la demi-douzaine de récifs et atolls occupés par la Chine et transformés en îles artificielles depuis 2014 sont bien une ligne de front : Pékin se bat pour faire accepter sa présence et ses revendications sur l’ensemble de la zone face à d’autres prétendants – les Philippines, mais aussi le Vietnam et Taïwan – qui occupent déjà une ou plusieurs îles naturelles de cet archipel situé à l’ouest des côtes philippines. Il s’agit aussi pour la Chine de gagner la bataille de l’information auprès de sa population, en attisant la flamme du patriotisme à l’approche d’une décision en juin du tribunal d’arbitrage de La Haye, saisi par Manille sur les initiatives chinoises en mer de Chine méridionale.

Ce fut clairement la mission de Song Zuying et des médias chinois qui l’accompagnaient, à Yongshu (plus connu sous le nom de récif de Fiery Cross) et Huayang (récif de Cuarteron) les 2 et 3 mai. Débarquée avec sa troupe de 50 musiciens et danseurs du Kunshan Shan, le navire amiral de la flotte chinoise, la chanteuse a d’abord interprété La marine du peuple va de l’avant, devant plusieurs centaines de soldats et d’ouvriers de la construction ravis par le spectacle. Elle s’est émue de la solitude de ces hommes loin de leurs familles pendant de longs mois – une preuve tangible que le récif de Fiery Cross était désormais peuplé. Autant dire que les réactions du public furent vibrantes d’enthousiasme : « C’est un grand honneur pour nous d’assister à ces grands changements sur les récifs », a dit un soldat interrogé sur place par CCTV7, la chaîne militaire chinoise. Et de poursuivre : « La mère patrie et le peuple peuvent nous faire confiance. Nous ne permettrons jamais que la terre de nos ancêtres nous échappe. »

Occuper le terrain

Le message est sans équivoque, tout comme les quelques images et commentaires des médias chinois disant que l’île prend forme et qu’elle est habitable. L’ancien récif, sur lequel la Chine a été autorisée par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) à construire une station météo en 1988, alors un simple bâtiment posé sur une plate-forme de béton accroché aux écueils, s’est métamorphosé depuis les grands travaux de poldérisation qu’elle y a entrepris en 2014 : une langue de terre de près de 3 kilomètres accueille maintenant une piste d’atterrissage.

Fiery Cross et plusieurs des autres récifs récemment aménagés, comme ceux de Subi et de Cuarteron, dépassent chacun désormais en superficie la plus grande île naturelle des Spratleys, Taiping, contrôlée par Taïwan – et dont Pékin estime qu’elle appartient déjà à la Chine à travers sa province renégate. Si la Chine ne peut prétendre à des eaux territoriales et encore moins à une zone économique exclusive à partir d’îles artificielles, Pékin a réussi sa mission : occuper le terrain. Et le faire savoir haut et fort à ses citoyens grâce à la performance endiablée de Song Zuying.