Marina Alves de Araujo, la veuve de Raimundo Chagas, assassiné en 2010 en raison d’un conflit forestier dans l’Amazonie brésilienne. | GLOBAL WITNESS

Pour les militants écologistes et les peuples indigènes en lutte contre l’accaparement et la destruction de leurs terres, de leurs forêts ou de leurs cours d’eau, 2015 a été une année noire. C’est ce que fait apparaître le rapport « On Dangerous Ground » (en terrain dangereux) publié, lundi 20 juin, par l’ONG Global Witness. Celle-ci est spécialisée dans la dénonciation des conflits, de la corruption et des violations des droits de l’homme associés à l’exploitation des ressources naturelles.

A l’échelle de la planète, le rapport ne recense pas moins de 185 assassinats liés à des enjeux environnementaux – soit un mort tous les deux jours –, perpétrés dans 16 pays. Un chiffre en hausse de 59 % par rapport à 2014 et encore jamais atteint depuis que l’ONG effectue cette recension macabre, débutée en 2002. Le bilan réel est « sans aucun doute plus élevé », souligne Global Witness, la collecte des informations étant très difficile. « Pour chaque assassinat que nous avons été en mesure de documenter, d’autres n’ont pu être vérifiés, ou n’ont pas été signalés, écrit-elle. Et pour chaque vie perdue, bien d’autres sont brisées par l’omniprésence de la violence, des menaces et de la discrimination. »

Evolution des assassinats liés à des enjeux environnementaux, entre 2010 et 2015. | Global Witness

L’an passé, les défenseurs de l’environnement ont payé le tribut le plus lourd au Brésil (50 morts), aux Philippines (33) et en Colombie (26). Ils ont été tués dans des conflits associés majoritairement à l’extraction minière, mais aussi à des activités agro-industrielles, forestières, hydroélectriques ou de braconnage. Quant aux auteurs de ces assassinats, le rapport indique que des groupes paramilitaires sont « soupçonnés » d’implication dans 16 cas, l’armée dans 13, la police dans 11, et des services de sécurité privés dans 11 autres.

Nombre d’assassinats liés à des enjeux environnementaux, par pays entre 2010 et 2015. | Global Witness

« Alors que la demande de produits comme les minerais, le bois et l’huile de palme se poursuit, des gouvernements, des entreprises et des bandes criminelles s’emparent des terres au mépris des populations qui y vivent », dénonce Billy Kyte, chargé de campagne à Global Witness. Or, note le rapport, « peu d’éléments indiquent que les autorités ont pleinement enquêté sur les crimes ou pris des mesures pour que leurs responsables rendent des comptes ».

Le Brésil, les Philippines et la Colombie particulièrement frappés | Global Witness

Terres ancestrales

Face à cette criminalité quasi organisée, les populations indigènes sont les plus vulnérables. « Du fait de l’insuffisance de leurs droits fonciers et de leur isolement géographique, elles sont particulièrement exposées à l’accaparement de leurs terres pour l’exploitation des ressources naturelles », pointe l’ONG. Près de 40 % des victimes dénombrées en 2015 appartenaient ainsi à des communautés indigènes. « Celles-ci sont de plus en plus menacées par l’expansion territoriale des entreprises minières ou forestières », constate Billy Kyte.

Les Etats amazoniens du Brésil, en particulier, ont connu « des niveaux de violence sans précédent ». « Des fermes, des plantations agricoles ou des gangs d’exploitants forestiers illégaux empiètent sur les terres des communautés, décrit le rapport. La forêt tropicale a fait place à des milliers de campements illégaux, tandis que la frontière agricole est repoussée jusque dans des réserves indigènes auparavant intactes. » La pression est très forte : 80 % du bois en provenance du Brésil serait exploité illégalement, et ces grumes représenteraient le quart des coupes illégales alimentant les marchés mondiaux, à destination notamment des Etats-Unis, de l’Europe et de la Chine.

La fin brutale de certains défenseurs de l’environnement a été rapportée dans les médias. Ainsi, en septembre 2015, sur l’île de Mindanao (sud des Philippines), la jeune militante Michelle Campos a assisté à l’assassinat par un groupe paramilitaire, sous les yeux de l’armée régulière, de son père et de son grand-père – des chefs de la communauté autochtone –, ainsi que d’un directeur d’école. Ils refusaient leur expropriation par des compagnies minières convoitant le charbon, le nickel et l’or du sous-sol. Quelque 3 000 indigènes ont dû fuir leurs villages, où 25 meurtres ont été signalés sur la seule année écoulée. Mais beaucoup des morts pour leur terre restent des anonymes.

Militants criminalisés

Selon les données recueillies par Global Witness, l’Afrique demeure relativement épargnée par ces exactions, à l’exception de la République démocratique du Congo où 11 rangers de parcs nationaux ont été tués. Un constat « d’autant plus surprenant que beaucoup de pays africains sont en proie à de fortes violences et que les conflits paraissent souvent liés à la terre et aux ressources naturelles », observe l’ONG. L’explication pourrait être un déficit de remontée d’informations en provenance de zones rurales isolées, où les organisations humanitaires sont peu représentées.

Pour autant, le rapport souligne une « hausse du nombre de cas de criminalisation de militants à travers l’Afrique » : arrestation au Cameroun du directeur d’une ONG luttant contre des plantations d’huile de palme ; menaces en République démocratique du Congo contre le coordinateur d’une ONG agissant pour la protection des forêts communautaires ; emprisonnement à Madagascar d’un militant écologiste qui dénonçait un trafic de bois de rose ; condamnation en Sierra Leone du porte-parole d’une association de propriétaires terriens affectés par l’emprise des palmiers à huile…

La situation sur le continent africain n’est pas la seule à être mal documentée. « Les informations font défaut pour des pays comme la Chine ou la Russie, où les ONG et les médias sont entravés », explique Billy Kyte. A ses yeux, « les agressions dont sont victimes les défenseurs de l’environnement sont le symptôme d’une répression plus large qui frappe les acteurs de la société civile, dans des pays où les intérêts des gouvernements et des compagnies privées entrent en collusion ».

Comment protéger les militants de la cause environnementale ? « Les gouvernements et les entreprises doivent mettre fin aux projets qui bafouent les droits des communautés à jouir de leurs terres, afin d’enrayer la spirale de la violence », plaide Global Witness. Ajoutant : « Les assassinats toujours impunis dans les villages miniers reculés, ou en plein cœur des forêts tropicales, sont alimentés par les choix que font les consommateurs à l’autre bout de la planète. »