« Marx dit : “La religion, c’est l’opium du peuple” ; Dieu est parfait, donc Dieu existe – c’est un syllogisme. Dieu est mort… Qui a dit Dieu est mort, déjà ? » A toute vitesse et à quelques minutes du coup d’envoi de l’épreuve de philosophie du bac 2016, Stella débite les citations qu’elle a minutieusement consignées en petites lettres noires sur une feuille.

Sur le trottoir du lycée Paul-Valery, dans le 12e arrondissement de Paris, elle tâche, avec Emmanuelle et Kaïma, également élèves en terminale littéraire, de graver dans sa mémoire d’ultimes paroles de penseurs. Une énorme goutte d’eau tombe du ciel parisien et vient s’écraser sur une phrase de Bergson : « Dieu permet d’oublier l’angoisse de la mort. » « Un signe du destin ! », s’exclame Stella, fataliste. Pour pallier l’angoisse du bac, Emmanuelle ne sait, quant à elle, à quel saint se vouer : « Je me suis réveillée à trois, quatre et cinq heures du matin », compte-t-elle sur ses doigts. Plus le temps pour une dernière cigarette, le petit groupe s’engouffre dans le lycée en convoquant Hegel : « Le serviteur, par son travail, devient maître. »

« Dépêchez-vous, sortez vos convocations et vos pièces d’identités », les presse Muriel, postée à l’entrée de l’établissement parisien, qui fait partie des centres d’examen. Cette énergique blonde à l’impeccable chignon serre dans ses bras ses « chouchous » et houspille les retardataires qui débarquent par grappes du tramway. « Chaque année, c’est la même chose : ceux qui sont en retard pendant l’année arrivent aussi à huit heures moins dix le jour du bac », s’amuse l’assistante d’éducation, qui a trois sessions de baccalauréat à son actif. « Les élèves, je les connais tous, je les adore ! », s’enthousiasme-t-elle. Mais le jour du bac est toujours un peu triste, avec la perspective de les voir partir. « Ça marque la fin du lycée pour eux, de toute une époque qui s’achève… »

Des lycéens « secoués » par les attentats

Et la période du bac, passage symbolique de l’enseignement secondaire au commencement de la vie adulte, a pris une dimension particulière pour les lycéens de cette année scolaire. « C’est sûr qu’ils ont été très secoués par les attentats, soupire Muriel. Un membre de l’établissement a été frappé par un deuil en novembre, les élèves ont réagi en construisant un mémorial sous notre saule pleureur, ils ont dessiné des cœurs, écrit des petits mots… »

Etienne et Jules, en terminale scientifique au lycée Sophie-Germain, sont eux aussi venus passer leur bac ce matin à Paul-Valery. Ils évoquent spontanément les événements tragiques qui ont ponctué leur dernière année de lycée. « On pense que la religion ne tombera pas en philo », explique Etienne. « Ça poserait trop de débats dans le contexte actuel. On a un peu évoqué l’actualité en cours avec le thème de la morale », précise Jules, le visage grave. « C’est sûr que tout ça nous a beaucoup marqués, et puis quelqu’un dans notre lycée a été… » Etienne et Jules gardent soudain le silence, avant de gagner la salle d’examen.

A l’ouverture des sujets, raison est donnée à Etienne : la religion ne fait pas partie des thèmes abordés cette année. Au menu de l’épreuve, selon qu’il s’agit de la série, S, ES, L ou du bac technologique : le travail, le désir, le sens de l’histoire ou encore les convictions morales.

Echo à la contestation de la « loi travail »

Midi approche et dans le 13e arrondissement de Paris, les lycéens sortent au compte-gouttes du lycée Claude-Monet, à l’issue de l’épreuve de philosophie. Le sujet sur « travailler moins, est-ce vivre mieux ? », donné aux séries S, a inspiré nombre d’entre eux. Certains y ont vu une référence à l’actualité sociale de ces derniers mois et à la mobilisation contre la loi El Khomri. « On ne veut pas travailler moins, on veut simplement travailler tout court », réagit immédiatement Ewen, 18 ans, qui a choisi ce sujet. Il dit se sentir concerné par le taux de chômage des jeunes en France. « J’ai aussi développé dans ma dissertation une partie sur l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, qui me semble indispensable pour être heureux », ajoute-t-il.

Christian Roche, un professeur de philosophie du lycée, y voit une référence au slogan de campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, « travailler plus pour gagner plus ». Ses élèves avaient neuf ans à l’époque… L’un deux, Marianne, 17 ans, sort un peu inquiète de ses quatre heures de composition. Le sujet « travail » s’est presque « imposé » à elle. Après avoir participé à toutes les manifestations contre le projet de réforme du code du travail depuis le mois de mars, sauf celle de mardi 14 juin, veille du bac, Marianne s’est sentie inspirée. Sur huit pages, elle a cité pêle-mêle « Karl Marx, Friedrich Hegel, Hannah Arendt et Aristote ». L’élève, qui a fini l’année avec 17 de moyenne en philosophie et s’est présentée au concours général, se sent néanmoins « angoissée » et décide de s’éclipser.

« Elancez-vous vers l’avenir maintenant ! »

Vers 12 h 30, quatre élèves de terminale littéraire s’attardent devant le lycée. Ils cherchent à confronter leurs problématiques. « Moi j’ai pris le sujet sur le désir et je me suis demandé si l’homme n’était pas condamné à être l’esclave de ses désirs », raconte l’un d’eux. Mais très vite, ils évoquent déjà l’après-bac et leurs vœux d’orientation, réalisés sur la plateforme Admission post bac. « J’ai été prise en hypokhâgne », se réjouit Elsa ; « moi à la Sorbonne Paris-III, en théâtre », renchérit Benjamin. Aucun des membres de la petite bande n’a choisi la filière littéraire par dépit ou parce qu’ils n’étaient pas assez bons en maths.

« Elancez-vous vers l’avenir maintenant ! », leur somme leur professeur de français, en les apercevant devant le lycée. En attendant, les quatre lycéens passeront leur mercredi après-midi à réviser l’histoire et les croquis de géographie, pour l’épreuve du bac prévue à 8 heures le lendemain.