Crue du Loing : images amateur du centre-ville de Nemours inondé en cours d’évacuation
Durée : 02:25

Pour de nombreux habitants de Nemours (Seine-et-Marne), la nuit du mercredi 1er à jeudi 2 juin a été courte. Deux mille d’entre eux – sur les treize mille que compte la ville – ont dû quitter leur maison, devant la montée des eaux du Loing qui a envahi le centre-ville. Une crue record qui dépasse largement le niveau historique de 1910.

Mercredi 1er juin, en fin de soirée, la place de l’église Saint-Jean-Baptiste est transformée en lac. Sous une pluie incessante, barques et canoës-kayaks vont et viennent, à la lueur des lampes-torches. Des habitants, un peu hébétés, ayant laissé leur appartement ou leur maison trop précipitamment, retournent chercher quelques affaires ou papiers. D’autres, bénévoles, employés municipaux, organisent des premières rondes pour surveiller les lieux désertés, situation propice aux cambriolages.

Dans la rue de Paris, coupée par les eaux, plusieurs dizaines de personnes surveillent le retour des barques ou les équipes de télévision venues saisir l’étonnante vision nocturne. D’autres sont là pour aider, comme Augusto Vieira de Baros, la trentaine, venu à Nemours pour une mission dans le traitement des eaux. Le jeune homme avait réservé une chambre dans un hôtel de la ville. Mais celui-ci, privé d’électricité et de gaz, comme un grand nombre d’habitants, a dû évacuer ses clients. « J’habite un petit village sur les bords de l’Eure et je suis habitué à voir un peu d’eau dans les rues, mais là, c’est saisissant. Je plains ces pauvres gens », dit Augusto, venu proposer ses services avant de rejoindre son camion pour dormir.

Conducteur de train le jour, kayakiste la nuit

Olivier Sodi est lui aussi venu prêter main-forte, et secourir ses beaux-parents. Conducteur de train entre Le Havre et Lyon, il se fait kayakiste pour la nuit. « Quand on a entendu que cette zone de Nemours passait en alerte rouge, dit-il, on est tout de suite venu chercher les parents de ma compagne, aider à monter certains meubles à l’étage, sauver des papiers, des photos. »

Dans la pénombre, un homme réclame un bateau pour aller chercher sa femme. Personne ne semble le connaître et autour de lui, on chuchote. Si c’était un repérage pour aller cambrioler ? Gérard Joué, conseiller municipal, en tenue obligatoire – bottes, pantalon imperméable et ciré –, essaye d’organiser les choses.

Des volontaires ont prêté main forte aux secours pour évacuer des habitants de Nemours en kayak. | KENZO TRIBOUILLARD / AFP

L’ampleur de l’événement a surpris tout le monde. « Du jamais vu, totalement imprévisible, on est au-dessus des marques de 1910 d’une bonne cinquantaine de centimètres, l’église est sous l’eau, la bibliothèque en bord de rivière est inondée et la mairie aussi, témoigne la députée (Seine-et-Marne, Les Républicains) et maire de la ville, Valérie Lacroute.

Depuis lundi soir, informés par Vigicrues et la préfecture de Seine-et-Marne, les élus municipaux ont alerté la population, avec des voitures sono et en faisant du porte-à-porte. « De nombreux habitants ne nous croyaient pas, ne voulaient pas venir ni déplacer leur voiture », raconte Mme Lacroute. Jusqu’à ses propres parents qui ont refusé de quitter leur maison, confie-t-elle dépitée.

La vie s’organise au gymnase

Devant l’insistance et la présence des policiers et des pompiers, les habitants du centre-ville ont pour la plupart finalement accepté de quitter les lieux. Deux cents voitures ont pu être déplacées, évitant d’être emportées ou noyées. Quelque cent cinquante Nemouriens ont échoué au gymnase des Cherelles. La vie s’y organise doucement. De nombreux vivres ont été apportés par des habitants : gamelles de couscous, de mafé, de riz, pizzas offertes par la pizzeria voisine, biscuits, fruits… Trois camions chargés d’eau minérale sont enfin arrivés, l’eau courante ayant été coupée ou peut-être polluée par les inondations, redoute la mairie.

Dans l’immense salle du gymnase, des dizaines de lits ont été installés. Assises l’une à côté de l’autre, Françoise Morel, 68 ans, et Josy Beaufre, 65 ans, trouvent le temps long. La première, résidant au rez-de-chaussée d’un immeuble de la rue Bezout, inondée, a vu l’eau envahir son appartement. « J’ai eu à peine le temps de mettre des dossiers dans un sac et de le glisser en haut d’une armoire », explique Françoise.

Un habitant traversant une rue innodée de Nemours. | DOMINIQUE FAGET / AFP

Son amie a, elle, plus de chance. Habitant au premier étage de la maison voisine, elle ne craint pas l’eau, mais elle a dû monter aussi dans la barque à cause de sa chienne, Fanette, qu’elle doit sortir régulièrement. Les deux regrettent de ne pas avoir été averties par la mairie. « Ils nous ont glissé un papier dans la boîte aux lettres tard le soir, mais moi, je ne descends pas la nuit voir mon courrier », marmonne Josy. Et pas question pour elle de rester plus de deux jours dans ce gymnase, trop éclairé, trouve-t-elle, pour pouvoir y fermer l’œil.

Inquiétude pour d’autres villes

Dans la nuit, de loin en loin, les gyrophares des voitures de secours clignotent, reflétés par l’eau qui recouvre la chaussée. A la caserne de pompiers, le va-et-vient est incessant. Quatre-vingt sapeurs sont engagés sur le terrain, ainsi que des équipes de la protection civile. Trois hélicoptères ont procédé à des extractions de personnes et à des reconnaissances. Et une vingtaine de plongeurs aident à l’évacuation.

A quelques dizaines de mètres de la caserne, la maire a trouvé refuge au centre technique municipal, sa maison ayant été envahie par les eaux. Elle va terminer ici sa nuit, y dormir une paire d’heures avant d’aller accueillir, jeudi dès 8 heures du matin, le premier ministre et le ministre de l’intérieur. « C’est le défilé, s’amuse Valérie Lacroute. Ségolène Royal est venue mercredi après-midi. Ça fait perdre du temps, mais si on y gagne des aides financières de l’Etat, cela vaut le coup. »

Si Nemours est l’objet de toutes les attentions, la situation dans d’autres villes du département reste préoccupante, notamment vers Coulommiers et Crécy-la Chapelle, sur les rives des Grand et Petit Morin. « Une victime est à déplorer, une octogénaire découverte morte dans sa maison en partie inondée à Souppes-sur-Loing, détaille, mercredi soir, le préfet de Seine-et-Marne, Jean-Luc Marx. 79 routes sont coupées et 9 315 personnes n’ont plus d’électricité. » Les cours des établissements scolaires des communes riveraines du Loing ont été suspendus jusqu’à samedi.

A Nemours, jeudi matin, une heure avant l’arrivée de Manuel Valls, la pluie redoublait, laissant craindre encore une aggravation de la crue.