Elle est sortie vendredi 13 mai du pôle financier du tribunal de Paris au terme d’une harassante journée d’auditions avec une mise en examen pour « présentation et publication de comptes inexacts ». Anne Lauvergeon, ancienne présidente du directoire d’Areva, compte de moins en moins de soutiens dans l’Hexagone à mesure que se poursuit sa descente aux enfers.

Celle qui était présentée il n’y a pas si longtemps comme l’une des femmes les plus puissantes du monde et la seule à la tête d’une entreprise du CAC40 se débat avec son bilan depuis sa brutale éviction, en 2011, par Nicolas Sarkozy de son poste de patronne du premier groupe mondial du nucléaire civil. Elle aura pourtant tout tenté pour s’y accrocher. L’arrivée à l’Elysée de François Hollande, une vieille connaissance de l’époque Mitterrand, ne l’a pas remise en selle.

Alors qu’elle rêvait d’un grand ministère ou d’une société phare à la dimension de ses ambitions et de son aura, « Atomic Anne » a dû se contenter d’un maroquin au conseil d’administration d’Airbus. Mais ce sont ses ennuis judiciaires, nés de l’achat en 2007 d’UraMin, société canadienne propriétaire des mines d’uranium en Afrique du Sud, en Centrafrique et en Namibie, qui ont bel et bien mis fin à sa toute-puissance. Au-delà des frontières de la France.

Tapis rouge et gyrophares

A l’époque, la présidente du directoire d’Areva était reçue, lors de ses rares déplacements en Afrique, avec les honneurs habituellement réservés aux chefs d’Etat ou de gouvernement. En septembre 2010, pour son tout dernier voyage au Niger, premier partenaire d’Areva sur le continent, les modalités d’accueil et les conditions de son séjour avaient même été définies en conseil de cabinet, l’équivalent du conseil des ministres français. Etaient mobilisés pour cette réunion de la plus haute importance le premier ministre, Mahamadou Danda, le ministre de l’intérieur, Ousmane Cissé, le ministre des mines, Souleymane Abba, et la ministre des affaires étrangères, Aminatou Touré.

A son arrivée à Niamey, Anne Lauvergeon avait été accueillie au pied de l’avion par le numéro deux du ministère des mines, Boubacar Boureima, puis conduite au salon d’honneur de l’aéroport Diori-Hamani. Elle en était ressortie, après les rafraîchissements imposés par la chaleur torride du Sahel, pour être escortée par deux motards tous gyrophares allumés. Direction le palais présidentiel, où l’attendait le général Salou Djibo, chef de la junte nigérienne, drapé dans son uniforme militaire et sourire aux lèvres.

Derrière cette hospitalité se dressait la toute-puissance de la figure emblématique de la mitterrandie et de son groupe, deuxième employeur du Niger après l’Etat, avec environ 2 500 salariés.

Ce n’est pas pour rien si deux Cesna avaient été spécialement affrétés pour l’emmener à Arlit, ville distante de quelque mille kilomètres de Niamey où venaient d’être enlevés par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), sur une mine d’uranium, sept employés d’Areva et de ses sous-traitants. Sur le tarmac, un détachement de la garde nationale attendait la patronne pour lui présenter les honneurs militaires.

On était à mille lieues de cette journée de vendredi 13 mai où l’ex-présidente d’Areva a été « cuisinée » comme un justiciable ordinaire par les juges Renaud Van Ruymbeke, Claire Thépaut et Charlotte Bilger chargés de l’enquête sur les conditions troublantes de l’achat d’UraMin pour près de 1,8 milliard d’euros. Mais dans l’épreuve qu’elle traverse aujourd’hui, Anne Lauvergeon pourra sans doute compter sur la sympathie, à défaut du soutien affiché, de trois présidents nigériens qu’elle a connus : Mamadou Tandja, Salou Djibo et Mahamadou Issoufou.

Relations heurtées avec Bozizé

Sur le continent, il n’y a pas qu’au Niger qu’on compatit à la traversée du désert de l’ex-sherpa de François Mitterrand. Candidat malheureux à la présidentielle de novembre 2015 dans son pays, le Burkinabé Zéphirin Diabré a été pendant près de six ans (2005-2011) responsable Afrique et Moyen-Orient d’Areva, cumulativement avec ses fonctions de conseiller aux affaires internationales de la présidente du directoire. M. Diabré, désormais chef de file de l’opposition burkinabée, a probablement appelé son ex-patronne sur son portable pour la réconforter. L’adversaire malheureux du président Roch Marc Christian Kaboré est du genre à avoir cette élégance, d’après ceux qui le connaissent bien.

En revanche, on peut parier que l’ancien président centrafricain a accueilli les déboires judiciaires d’« Atomic Anne » avec une certaine indifférence. Et pour cause : Anne Lauvergeon et François Bozizé se sont opposés sur la mine de Bakouma, devenue propriété d’Areva après le rachat d’UraMin. Malgré les démarches insistantes de la direction d’Areva, les autorités centrafricaines avaient fermement refusé l’accès du groupe français au site. L’ex-président centrafricain a gardé de cet épisode un souvenir d’autant plus amer qu’il lui avait valu une convocation de Nicolas Sarkozy pour un entretien à l’Elysée d’à peine une quinzaine de minutes. Juste le temps de débloquer l’accès à Bakouma par Areva. De Kampala, en Ouganda, où il coule un exil heureux, François Bozizé ne pleure certainement pas le sort d’Anne Lauvergeon.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, est l’auteur de Niger : la junte militaire et ses dix affaires secrètes (2010-2011), (éd. L’Harmattan, 2013).