A Tombouctou, en février 2016 | SÉBASTIEN RIEUSSEC / AFP

Le Touareg malien Ahmad Al-Faqi Al-Mahdi, plus connu sous le nom d’Abou Tourab, sera jugé par la Cour pénale internationale (CPI) à partir du 22 août, a annoncé la Cours le 1er juin. Livré le 26 septembre 2015 par le Niger, où il était détenu, ce djihadiste du groupe armé Ansar Eddine devrait plaider coupable de crime de guerre pour la destruction de neuf mausolées et de la porte de la mosquée Sidi Yahia à Tombouctou, entre le 30 juin et le 11 juillet 2012.

Après s’être emparés de la « cité des 333 saints », le 1er avril 2012, les djihadistes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’Ansar Eddine avaient soumis la population et détruis les mausolées à coups de pioche et de barre de fer. Chef de la Hesbah, la brigade des mœurs chargée de« réprimer tout comportement contraire à la vertu », M. Al-Faqi Al-Mahdi aurait « joué un rôle crucial », selon la Cour, dans la destruction des bâtiments placés sous la protection de l’Unesco et dont certains étaient inscrits au patrimoine mondial.

Ce n’est pas la première fois que la justice internationale s’empare de tels crimes. Le tribunal pour l’ex-Yougoslavie avait condamné un général serbe à huit ans de prison pour le pilonnage de la vieille ville de Dubrovnik, en 1991, elle aussi classée au patrimoine mondial. Mais après la destruction par l’Etat islamique du musée de Mossoul en Irak en février 2015, du site gréco-romain de Palmyre en Syrie l’été suivant, et d’autres lieux historiques ou religieux, la procureure espère faire un exemple de cette première affaire dans l’enquête sur les crimes commis au Mali, ouverte à la demande de Bamako en janvier 2013.

« Le fil rouge » de l’opération

« C’est l’identité et la dignité mêmes de la ville et de ses habitants qui ont été touchées, les sites attaqués étaient le symbole de Tombouctou et étaient perçus comme un moyen spirituel de protection de la ville », déclarait l’accusation dans un document remis aux juges. Selon le dossier, la décision de détruire avait été prise par Iyad Ag Ghaly, le chef d’Ansar Eddine. Considéré comme le « fil rouge » de l’opération,« chargé d’organiser l’attaque contre les mausolées et de superviser les opérations », Ahmed Al-Faqi Al-Mahdi, « érudit en religion », avait non seulement participé à la décision, mais aussi fourni les outils, sélectionné les hommes et conduit l’attaque. Le chef de la brigade des mœurs avait alors expliqué à la population agir tel que l’avait ordonné « le Messager », et avait écrit le sermon lu lors de la prière du vendredi, la veille de l’attaque.

Cette première affaire de la Cour dans le dossier malien ne porte que sur la destruction des mausolées, et non sur les crimes ciblant directement la population de Tombouctou. La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) avait d’ailleurs regretté le caractère partiel des accusations. L’organisation a porté plainte, en collaboration avec plusieurs associations maliennes, pour crimes contre l’humanité devant la justice malienne contre Al-Mahdi et plusieurs djihadistes d’AQMI et d’Ansar Eddine, après des viols, des tortures et des détentions arbitraires.

Longtemps fonctionnaire au ministère malien de l’éducation, Ahmed Al-Mahdi avait rejoint Tombouctou, sa région natale, dès la prise de la ville par les groupes djihadistes, avant de la fuir en janvier 2013 face à la progression des forces françaises de l’opération « Serval ». Mais en octobre 2014, il avait été blessé lors de son arrestation au Niger par la force Barkhane, à 30 kilomètres de la frontière nigéro-algérienne et à bord d’un convoi transportant plus d’une tonne d’armement du Sud libyen vers le Mali. Le Niger l’avait remis à la CPI en septembre 2015. En janvier, l’Emirat du Sahara, une branche d’AQMI, a exigé la libération de combattants détenus au Mali et celle d’Al-Faqi Al-Mahdi en échange de la religieuse suisse Béatrice Stockly, enlevée dans la nuit du 7 au 8 janvier au Mali pour la seconde fois.

Sur la vidéo de revendication, on peut voir la photo de l’ancien chef de la brigade des mœurs, accompagné d’une voix off demandant sa libération. En bas de l’image, en incrustation, on peut aussi lire qu’« un musulman est le frère d’un autre musulman, il ne l’opprime point et ne le dénonce point ». Selon une source à la Cour, il pourrait s’agir d’un message à l’adresse du détenu. Depuis, la CPI a pris de nouvelles mesures de sécurité.

Tombouctou retrouve ses mausolées détruits par les djihadistes

[Une première version de cet article a été publiée le 29 mars. Nous le republions le

1er juin, jour où a été annoncée la date du procès.]