Jeudi soir 2 juin, Nouria Bengherbrit, la ministre de l’éducation algérienne, a dû annuler en catastrophe sa conférence de presse sur le bilan du baccalauréat. Car le bilan dont tout le monde parle n’est pas à son avantage. Plusieurs sujets des filières scientifiques ont fuité avant les épreuves et se sont retrouvés sur les réseaux sociaux pendant des heures. Une réunion d’urgence a été convoquée avec les associations de parents d’élèves et les syndicats de l’éducation.

Le ministère a finalement publié un communiqué qui reconnaît une « série d’attaques informationnelles massives (faux sujets) sur Internet à travers des pages et sites sur les réseaux sociaux ». Les autorités estiment qu’« un arsenal technologique et télématique impressionnant » a été déployé pour tricher. Les services de sécurité ont interpellé 31 personnes, « sur la base d’adresses IP ». Mais, pour le moment, Nouria Benghebrit se refuse à prendre une décision : doit-elle annuler l’examen, sous peine de perdre son poste ?

Attaquée par les conservateurs

En 1992, une fuite, puis l’annulation du baccalauréat, avait conduit au départ du ministre de l’époque Ali Ben Mohamed. La presse s’inquiète désormais d’un « complot » contre la ministre de l’éducation. Nouria Benghebrit, ancienne directrice du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d’Oran, a été nommée en 2014 après l’élection d’Abdelaziz Bouteflika à un quatrième mandat. Francophone, femme, son profil a fait grincer des dents. Sa volonté de réformer les programmes scolaires, d’introduire le dialecte algérien à l’école, d’adapter les calendriers scolaires pour les élèves de la zone saharienne du pays, a fédéré des associations, des syndicats, des parents d’élèves et des hommes politiques contre elle.

Deux députés islamistes ont demandé au président de limoger la ministre qu’ils accusent de vouloir « arracher l’école algérienne à son environnement identitaire ». La ministre a pourtant été soutenue par le premier ministre, alors qu’elle faisait face à la grève des enseignants contractuels au mois de mars. Ces derniers demandaient à être intégrés automatiquement à la fonction publique. En 2015, elle avait tenu tête aux syndicats d’enseignants qui étaient en grève pour obtenir l’augmentation de leurs primes.

Le bac, enjeu pour toute la société

Cette image de « dame de fer » lui vaut également le soutien de nombreux Algériens, inquiets du niveau de l’enseignement algérien, qui a été géré de 2003 à 2012 par le même ministre, Aboubakr Benbouzid. Aujourd’hui, de nombreuses familles inscrivent leurs enfants dans des écoles privées ou font appel à des cours particuliers. Le baccalauréat cristallise aujourd’hui des enjeux sociétaux importants. Dans ce contexte, mercredi, les autorités avaient d’abord tenté de calmer le jeu par un communiqué : « Le ministère de l’éducation nationale tient à rassurer les candidats et l’opinion publique quant au déroulement de l’examen dans des conditions normales. » Mais depuis que la triche est confirmée, des syndicats estiment que le dispositif anti-fraude n’était pas assez fort, d’autres demandent l’annulation de l’examen, des enseignants menacent de boycotter l’étape des corrections s’il n’est pas annulé. A quelques jours du ramadan, quelle que soit sa décision, Nouria Benghebrit devra gérer une nouvelle crise. Elle qui comptait sur l’été pour mener à bien la première réforme des programmes scolaires.