Le président gabonais Ali Bongo, à son arrivée au Bourget à Paris le 30 novembre 2015, pour une réunion de préparation de la COP21. | LOIC VENANCE/AFP

L’élection présidentielle démocratique au Bénin de mars a été éclipsée par les reconductions des présidents sortants en Guinée équatoriale et au Congo. Alors que l’Afrique subsaharienne consolide ses démocraties, l’Afrique centrale reste un îlot, au pire de dictatures autoritaires, au mieux de régimes politiques hybrides. Le Gabon, un pays qui n’a pas connu d’alternance politique depuis 1964, doit tenir son élection présidentielle en août. Mais celle-ci donne-t-elle une chance réelle à l’opposition, ou représentera-t-elle une autre formalité de reconduction d’un président en place ?

Ali Bongo Ondimba, l’un des fondateurs du courant des rénovateurs du Parti démocratique gabonais (PDG), chef de l’Etat depuis 2009 et la fin du règne de quarante-deux ans de son père Omar Bongo, a consolidé un régime politique hybride de type « autoritaire compétitif ». Un régime qui se caractérise, selon les inventeurs du concept Steven Levitsky et Lucan Way – professeurs des universités de Harvard et de Toronto –, par la présence d’institutions démocratiques formelles, perçues comme les principaux moyens pour obtenir et exercer l’autorité politique, mais que les dirigeants violent tellement souvent et dans une telle ampleur que leurs régimes n’arrivent pas à répondre aux standards les plus bas pour être qualifiés de démocratie.

Le système gabonais peut être considéré comme « autoritaire compétitif », car des inégalités extrêmes existent entre le parti au pouvoir, le PDG, et l’opposition lorsqu’il s’agit d’accès aux financements politiques ou aux médias nationaux, que les institutions indépendantes de contrôle sont sous la coupe de l’exécutif issu du PDG, ou encore à cause d’irrégularités lors des scrutins directs. Tous ces problèmes, combinés à des usages clientélistes et à la généralisation de la corruption, font du Gabon un régime plus autoritaire que démocratique.

Toutefois, la ligne de démarcation entre « autoritarisme » et « autoritarisme compétitif » se définit par la possibilité pour les partis d’opposition d’utiliser les institutions démocratiques pour concourir sérieusement aux élections et gagner le pouvoir. Le Gabon est donc bien « autoritaire compétitif » dans la mesure où les opposants peuvent se présenter aux élections librement, alors que dans d’autres pays de la région, comme la Guinée équatoriale, les opposants sont souvent exclus des scrutins et les fraudes sont tellement massives que les résultats en deviennent insignifiants.

Un autoritarisme diminué

Le régime gabonais, depuis 1990 et la fin du monopartisme, n’est pas une démocratie partielle ou « diminuée » mais plutôt un autoritarisme diminué. L’autoritarisme compétitif doit être, d’un côté, distingué de la démocratie, et de l’autre de l’autoritarisme généralisé.

La démocratisation est souvent étudiée du point de vue des facteurs d’opposition, de la société civile et de la cohésion des mouvements d’opposition qui veulent mettre fin à l’autoritarisme. Mais, dans le Gabon des années 2000, l’opposition et la société civile étaient extrêmement faibles et très fragmentés, ce qui rendait une démocratisation encore plus difficile. Lors de l’élection de 2009, même une opposition organisée mais tardivement cohésive n’a pas pu battre Ali Bongo qui tenait la machine que représente le PDG, appareil électoral très performant.

En même temps que le candidat du PDG se présente aux élections, la Commission électorale nationale autonome et permanente, garante de l’équité de l’élection, est sous la tutelle d’un ministre de l’intérieur, issu des rangs du PDG. Avec un appareil d’Etat fort et un parti politique riche, organisé et puissant, il est très difficile pour l’opposition de gagner le pouvoir.

Mais la capacité organisationnelle du régime faiblit. L’industrie extractive souffre du prix bas du pétrole, les infrastructures promises tardent à se concrétiser, les agences publiques supposées accélérer l’émergence du pays semblent être un double peu performant de l’administration, la fonction publique a été traumatisée par le TsunAli de 2010 (audit de la fonction publique pour débusquer les postes fictifs), et Jean Ping, lui-même issu du PDG, s’est placé très tôt comme l’opposant principal d’Ali Bongo.

Le Gabon illustre que la tenue d’élections dont le résultat est incertain n’est pas une garantie de démocratisation, et que le changement de dirigeant, même après le départ de Bongo père ne débouche pas systématiquement sur une transition démocratique. Qui sortira donc gagnant des élections du mois d’août : Ali Bongo ? Le régime autoritaire compétitif sous un autre dirigeant ? Ou enfin la démocratie ?

Khalid Tinasti est chercheur en politiques publiques et l’auteur du Gabon, entre démocratie et régime autoritaire (éd. L’Harmattan, 2014).