Présentée comme un sanctuaire de Boko Haram, la forêt de Sambisa n’est plus vraiment une forêt. La zone de près de 60 000 km2 située au nord-est du Nigeria, non loin de la frontière camerounaise, a aujourd’hui les caractéristiques géographiques d’un maquis.

C’est là que les autorités nigérianes ont retrouvé, mardi 17 mai, Amina Ali Darsha Nkeki. Le président Muhammadu Buhari a reçu deux jours plus tard, à Abuja, cette rescapée de l’enlèvement de 219 jeunes filles par Boko Haram le 14 avril 2014.

Spécialiste du Nigeria, le chercheur au King’s College de Londres, Vincent Hiribarren, répond aux questions du Monde Afrique.

Comment analysez-vous l’annonce de la découverte d’Amina Ali Darsha Nkeki ?

Vincent Hiribarren C’est la première fois qu’une adolescente enlevée à Chibok est retrouvée dans la forêt de Sambisa. Cette découverte est doublement symbolique. D’abord parce que les adolescentes sont devenues des icônes à l’échelle mondiale, notamment grâce à la campagne #BringBackOurGirls lancée sur les réseaux sociaux. Elles incarnent les victimes de l’oppression de Boko Haram.

Ensuite, le lieu n’est pas anodin. La forêt de Sambisa est rapidement devenue l’un des bastions de Boko Haram. Elle est présentée et perçue comme une forteresse inatteignable pour l’armée. Elle illustre en quelque sorte l’incapacité du pouvoir nigérian à agir sur son propre territoire.

Quid de la mise en scène de cette découverte par l’armée, qui suscite un débat au Nigeria ?

L’armée nigériane communique beaucoup mais très mal. Le précédent chef d’état-major avait déclaré à plusieurs reprises avoir retrouvé les filles de Chibok. Quitte à annoncer que c’était une affaire de quelques heures pour négocier leur liberté. Ce qui s’est révélé faux.

C’est un défi pour l’armée de montrer à quel point elle agit et combat. Et ce afin de tenter de gommer son image de corps inefficace, brutal, corrompu et comptant dans ses rangs des éléments qui ont, dans le passé, vendu leurs armes à Boko Haram.

Quelles sont les particularités de la forêt de Sambisa ?

A l’époque coloniale, il y avait une réserve de chasse dans ce qui était alors une forêt. Des fonctionnaires coloniaux allaient d’ailleurs y chasser dans un cadre fastueux. Il y avait des girafes et des éléphants.

Aujourd’hui encore, la zone est réputée pour sa biodiversité même si les éléphants et les girafes ont disparu. Mais, plus qu’une forêt, c’est désormais un maquis sahélien avec beaucoup d’arbustes épineux et quelques poches d’arbres.

Après l’indépendance du Nigeria, Sambisa a été intégrée au parc national du bassin du lac Tchad contrôlé directement par l’Etat fédéral, à Abuja. Pour l’anecdote : à en croire le guide de voyage Bradt sur le Nigeria, Lady Di et le prince Charles se seraient rendus en 1990 dans ce parc national.

Amina Ali Darsha Nkeki, la lycéenne enlevée à Chibok en 2014 et retrouvée mardi 17 mai dans la forêt de Sambisa, présente son bébé au président nigérian. | AFOLABI SOTUNDE / REUTERS

Toutefois, les gouvernements successifs se sont illustrés par une très mauvaise gestion et un désintérêt pour cette zone autrefois prospère et à préserver. L’écotourisme n’a pas été une priorité au Nigeria. En fait, le mythe de la forêt de Sambisa mêle abandon des autorités fédérales et montée en puissance d’un groupe terroriste aux méthodes brutales et à la rhétorique souvent populiste.

Sur la route qui relie Maiduguri à la frontière camerounaise en longeant la forêt, il y a de nombreux villages. Mais faute de recensement et de chiffres fiables, on ne sait pas vraiment combien de gens vivent dans cette zone de près de 60 000 km2.

L’implantation de Boko Haram dans les environs vous surprend-elle ?

La région est un lieu de sédition et de trafic depuis des siècles, de par sa géographie accidentée et sa proximité avec la frontière camerounaise. D’ailleurs, vers la frontière, dans des villages nichés au creux des collines nigérianes surplombées par les monts Mandara, côté camerounais, de nombreux incidents étaient signalés au XXe siècle. A l’époque coloniale, les collines de Gwoza étaient d’ailleurs considérées comme des refuges à bandits. Dans les archives, le dernier incident relevé avant l’indépendance remonte à 1954 : des violences entre musulmans et non-musulmans.

Il est difficile de dater l’arrivée de Boko Haram dans cette zone. Mais, au moment où les lycéennes de Chibok ont été kidnappées en 2014, nombreux sont ceux qui ont émis l’hypothèse qu’elles soient retenues dans la forêt de Sambisa. Toutefois, il me semble excessif de qualifier cet espace de « sanctuaire » ou de « base » de Boko Haram, comme le martèle le pouvoir nigérian. Car, comme tout groupe terroriste, Boko Haram est mobile. Et on peut imaginer que, comme tout le monde pointe la forêt de Sambisa comme leur refuge, ils aient décidé d’aller ailleurs, vers le lac Tchad par exemple.

Boko Haram est-il aussi affaibli que le disent les autorités nigérianes ?

Des poches de résistance demeurent, même si Boko Haram semble en effet en recul en termes de capacité militaire. Les opérations de la Force multinationale mixte (Nigeria, Niger, Tchad, Cameroun, Bénin) de 8 500 hommes, avec un droit de poursuite sur le territoire nigérian accordé à l’armée tchadienne, ont affaibli Boko Haram. En plus d’une coopération régionale renforcée, il faut noter l’appui militaire de la France et des Etats-Unis, notamment en termes de renseignement. L’armée américaine dispose d’une base à Garoua, au nord du Cameroun, d’où décollent des drones qui surveillent la région. Tous ces efforts ont changé la donne et limité, semble-t-il, la progression de Boko Haram.

Mais économiquement, la région du nord-est du Nigeria aura du mal à se relever tant l’agriculture a été mise à mal. A Maiduguri, la capitale de l’Etat du Borno, la vie reprend peu à peu. L’université a rouvert, des vols relient à nouveau Maiduguri à Abuja, et l’équipe de football a repris les matchs à domicile.