Palais de justice américain. | D.R.

Le 1er mars, Hillary Clinton remportait haut la main la primaire démocrate de l’Arkansas, Etat dont son mari, Bill, fut le gouverneur avant d’entrer à la Maison Blanche. La candidate faisait un pas supplémentaire vers l’investiture partisane en vue de l’élection présidentielle de novembre.

Au même moment se tenait l’élection du juge en chef de la cour suprême de l’Arkansas. Dans 39 Etats sur 50, les magistrats sont soumis au suffrage universel. Cette année, des millions d’Américains éliront ainsi leurs juges. Née au XIXe siècle, l’idée d’organiser des élections judiciaires partait d’une bonne intention : éviter que les magistrats ne soient soumis au pouvoir politique.

Mais faute de financement ­public, les juges font appel à l’argent privé. L’enquête menée par ­Sylvain Pax pointe les effets pervers de ces scrutins. Opiniâtre, le journaliste d’investigation est allé à la rencontre de ces juges en campagne. Dans l’Arkansas, il a interrogé Dan Kemp, candidat de l’establishment. « Chaque matin, avant d’aller au tribunal, je prie pour que Dieu me rende juste et impartial », affirme ce dernier dans un spot publicitaire où on le voit enfiler sa robe de magistrat.

Un message qui a convaincu des grandes entreprises, dont les banques Stephens ou Arvest, de lui verser quelque 400 000 dollars pour faire campagne. Le jour de son élection, Dan Kemp remercie Dieu. Mais sera-t-il en mesure de juger en toute impartialité ces compagnies si ­elles sont impliquées dans des litiges ? Rien n’est moins sûr.

Pot-de-vin

Les cas de magistrats ayant manqué à leur obligation d’équité sont légion. Accusé de corruption, Mark Maggio, juge pendant quinze ans dans l’Arkansas, a plaidé coupable en 2015. Sous sa présidence, les douze membres du jury avaient condamné une maison de repos négligente à verser plus de 5 millions de dollars d’amende aux plaignants. Mais, après avoir accepté un recours en appel, Mark Maggio avait ordonné que le montant de l’indemnité soit divisé par cinq. Un avocat, Matt Campbell, a réussi à démontrer que ce juge avait touché un pot-de-vin de la part du patron de la maison de repos.

Si Sylvain Pax ne parvient pas toujours à mettre en difficulté ces magistrats habitués à être cuisinés par les journalistes, sa démonstration n’en reste pas moins convaincante. Petit à petit, il lève le voile sur une dérive généralisée : à Chicago, il remonte la piste de Lloyd Karmeier. Elu en 2004 à la tête de la cour suprême de l’Illinois, ce juge a pendant des années veillé sur les intérêts des entreprises représentées par le puissant lobby ICGL, qui, en plus de financer sa campagne, en a conçu la stratégie.

Signe de la politisation croissante de ces élections judiciaires, les donateurs n’hésitent pas à financer des spots télévisés dévastateurs pour détruire la réputation des juges qui ont pris des ­décisions allant à l’encontre de leurs intérêts ou de leurs convictions. Dans l’Iowa, l’American ­Family Association a ainsi réussi à empêcher la réélection de trois juges qui avaient déclaré inconstitutionnelle une loi interdisant le mariage gay en 2009. Dans l’Ohio, ultime étape de cette plongée inquiétante au cœur d’une justice américaine peu ­sereine, certains juges n’ont pas ­hésité à faire campagne sur le thème du soutien aux forces de l’ordre, allant jusqu’à promettre une application stricte de la peine capitale.

Etats-Unis : juges à vendre, de Sylvain Pak (Fr., 2016, 55 min).