Mercredi 15 juin midi, à leur sortie de l’épreuve de philosophie du bac 2016, plusieurs centaines de lycéens ont posé leurs questions en direct à Ligeia Saint-Jean, professeure de philosophie au lycée Paul-Bert à Paris, lors d’un chat sur Le Monde.fr. Approche des sujets, problématique, crainte d’avoir oublié de dire quelque chose dans leur copie… Voici le compte rendu de ce riche échange, qui a concerné les différents sujets choisis par les candidats du bac S, du bac ES et du bac L.

« Je sors de l’examen, j’ai pris le sujet concernant le désir. Parfois, j’ai fait des citations, mais je n’ai pas cité mes sources de peur de me tromper. Ça pourrait me porter préjudice ?
Et, mon prof m’a toujours dit qu’en série ES on attendait minimum une feuille double. Mais j’ai tendance à en écrire toujours trop, est-ce que, ça aussi, ça risquerait de me porter préjudice ? » - LaPetitePrincesse

Ligeia Saint-Jean : Pour les citations, ce qui est important, c’est de les analyser et de les rapporter au reste de votre développement. Pour la longueur de la copie, on ne note pas au nombre de pages mais bien à la qualité de l’argumentation. Une copie courte peut être une très bonne copie si elle est bien organisée et soulève bien les problèmes du sujet. Mais évidemment, si vous n’avez rédigé qu’une courte introduction, la copie sera trop légère.

« C’était pertinent de poser les différents types de désirs possibles ? J’ai soulevé les désirs sains et certains, les désirs soumis au doute et les désirs conscients mais dissimulés… » – Jadebrdc

Ligeia Saint-Jean : Pour ce qui est du sujet du bac ES (Savons-nous toujours ce que nous désirons ?), il était pertinent de se poser la question des différents types de désirs. C’était bien le sujet. Il était surtout question de se demander si l’objet de notre désir était toujours clairement connu de nous. Sous-entendu que les désirs sont par essence confus.

Qu’il puisse y avoir des désirs « sains, certains ou conscients », d’autres « dissimulés » comme vous le dites, suppose une réflexion qu’on mène sur nos désirs. Vous semblez être bien dans le sujet.

« Pourriez-vous nous parler du texte de Descartes (Série ES) » – Melk

Ligeia Saint-Jean : C’était un texte un peu court. Du coup, il demandait aux élèves d’entamer un véritable travail de discussion autour du fondement de nos jugements véritables et des raisons de nos erreurs. Descartes dans ce texte se demande si nous sommes responsables de nos erreurs, sachant que les « erreurs » sont des erreurs d’ordre théorique. Celles qui engagent la connaissance de la vérité. Et si nos erreurs sont dues à un défaut de connaissance (dû à notre ignorance) ou à un défaut de jugement qui engage notre volonté.

Chez Descartes, pour juger cela mobilise deux facultés : l’entendement et la volonté. L’une qui permet de concevoir et l’autre qui permet de donner son assentiment. L’« erreur » alors viendrait non pas de notre capacité à concevoir mais de notre précipitation dans nos jugements, qui est la cause de nos fausses opinions.

« J’ai pris l’explication de texte d’un extrait du “Prince” de Machiavel. Dans ma copie, je n’ai fait aucun lien avec le rapport au pouvoir sur le peuple, les invasions, etc., comme j’ai pu le voir dans une correction. Suis-je complètement hors sujet ? Une connaissance de la doctrine de l’auteur n’étant pas demandée, j’aurais peut-être dû percer cette subtilité qui fait finalement tout le texte. » - bjr

Ligeia Saint-Jean : Pour le texte de Machiavel, il s’agissait d’un extrait sur le libre arbitre et sur notre rapport à l’ordre imprévisible des choses. La connaissance de l’auteur n’étant pas requise, on pouvait faire une lecture plus « morale » du texte que « politique ». Mais le titre de l’œuvre pouvait vous indiquer qu’il s’agissait bien d’un texte sur l’art de gouverner ou de « se » gouverner.

L’action que nous pouvons avoir sur le cours imprévisible des choses suppose une certaine vertu (virtu) qui est plutôt une forme de courage. Celle-ci permet d’imposer sa volonté et de s’adapter aux circonstances. L’enjeu étant soit d’ordre éthique, soit d’ordre politique (pour le souverain ou le prince ce qui est important, c’est de parvenir à tout prix à maintenir l’ordre politique).

« Je suis en L et j’ai pris l’explication de texte d’Arendt sur l’histoire. J’ai trouvé deux grandes parties et je voulais savoir si mon enjeu était bon : j’ai fait la distinction entre l’histoire événementielle et l’histoire du temps long. Cette dernière pourrait être une solution au problème d’objectivité que pose l’histoire, car elle nécessite une analyse des causes élémentaires des faits, il n’y a pas de place pour l’interprétation. » Emma89

Ligeia Saint-Jean : Oui, c’était bien un texte sur l’interprétation que l’on fait des faits de l’histoire, avec une critique d’une lecture toujours très subjective et partielle que l’on peut avoir du déroulement des événements. Mais si les historiens ont bien une exigence d’objectivité, leur lecture de l’histoire fait appel à un travail d’interprétation. Dans ce texte, il fallait redonner à la notion d’interprétation un autre sens que celui qu’on entend péjorativement (interprétation = discours subjectif).

Il était question dans ce texte du danger concernant la manipulation des faits qui se sont produits, et que l’on ne peut nier. Sauf qu’un fait de l’histoire est toujours porteur de sens, et n’est pas un fait au sens d’un simple phénomène physique et naturel. Si on explique un phénomène physique, on comprend un événement historique.

« J’ai pris le sujet du travail, j’ai dit en problématique : le travail est-t-il un frein à notre liberté et à notre espérance de vie ? Le travail est négatif d’après l’opinion commune : J’ai dit que le travail était négatif d’abord d’après son origine : tripalium (ancien objet de torture), j’ai parlé des contraintes naturelles et sociales. Et II. Le travail permet de faire disparaître ces contraintes + j’ai parlé de Marx avec le travail industriel (révolution industrielle après la 2nd GM) + travail intellectuel, savoir = savoir-faire avec le travail manuel ! Est-ce que ça semble aller ? » – lyonphilo

Ligeia Saint-Jean : Votre dissertation semble sérieuse, et votre plan annonce une argumentation construite. Cependant, il aurait été important d’analyser le rapport qui est ici induit entre le « moins » et le « mieux ». « Vivre mieux » était plus en rapport avec le bonheur que la liberté, mais parler de liberté n’était pas hors sujet.

« Un devoir inachevé (pas eu le temps de recopier une conclusion) est-il sévèrement sanctionné ? (série S) » - paul3826

Ligeia Saint-Jean : Si c’est juste votre conclusion que vous n’avez pas eu le temps de recopier, ce n’est pas grave. On évalue l’ensemble de la copie, il n’y a pas de barème attribué à chaque moment de la dissertation. Si vous avez pris le temps de bien rédiger votre dernière partie, on ne vous en tiendra rigueur.

« Pourriez-vous parler du sujet sur l’histoire en ES : “Pourquoi avons-nous intérêt à étudier l’histoire ?” Etait-il judicieux de définir ce qui signifie étudier l’histoire en nuançant avec l’objectivité en première partie. Puis de débattre sur le devoir d’étudier l’histoire et enfin de parler de nécessité pour l’homme afin qu’il se construise et puisse vivre en société ? – A. Milman

Ligeia Saint-Jean : Ce que vous annoncez paraît intéressant. Surtout que la formulation du sujet pouvait conduire les élèves à faire une énumération. Or, c’est bien la source de l’intérêt qu’il fallait ici analyser : un intérêt d’érudit, un intérêt politique par exemple, pour comprendre la motivation que l’on peut avoir à s’intéresser au passé.

« Je suis en S et j’ai traité le sujet 2 (faut-il démontrer pour savoir ?), et j’ai fait un plan en deux parties, avec I) La démonstration est-elle nécessaire au savoir et II) Est-elle suffisante.
Est-ce que cela me permettrait d’atteindre la moyenne ? » – Clément

Ligeia Saint-Jean : Je ne sais pas si cela vous le permettrait. En revanche, votre plan paraît annoncer des points pertinents. « Faut-il démontrer pour savoir ? », le « faut-il ? » renvoyant soit au « est-il suffisant ? » Ou bien, au « doit-on ? »

Dans un cas, on pouvait se demander si seule la démonstration permet d’établir de véritables connaissances, ou s’il y a d’autres voies. Dans l’autre cas, la question renvoyait à une exigence d’un certain type de savoir qu’il fallait ici définir. Tout savoir peut-il faire l’objet d’une démonstration, d’une part ? Et d’autre part, si on exige un savoir fondé en vérité uniquement (il y a différents types de connaissances), alors peut-être que seule la démonstration permet d’y accéder :

« Bonjour, pourriez-vous parler du sujet sur les convictions morales liées à l’expérience en bac L ? » – Ariane

Ligeia Saint-Jean : Je ne sais pas si ce sujet a été beaucoup choisi. Vous êtes peu nombreux à l’aborder. C’était un sujet intéressant, sur le fondement de nos convictions morales et de savoir si elles nous sont toujours transmises par l’expérience, l’éducation. Et de quelle manière ?

Parler de conviction engage chacun et donc une certaine liberté de choix existentiels. La morale renvoie à nos actions, à leur évaluation et à leurs conséquences. Ici, les convictions ne sont pas seulement d’ordre théorique mais pratique par rapport à des décisions qui engagent nos vies. Chacun est maître de sa vie et de ses choix. Si nous ne décidons qu’en nous laissant influencer par l’expérience des autres ou par des traditions auxquelles nous nous plions aveuglément ou par conformisme, alors il ne s’agit plus de véritables convictions.