De sa longue et brillante carrière politique (1961-2014), le Sénégalais Abdou Diouf aura gardé deux grands regrets. D’abord celui de n’avoir pas réussi, en tant que secrétaire général de la Francophonie, à faire accepter le principe d’un visa francophone. Ce fameux sésame dont il a tant rêvé devait permettre à ses détenteurs de circuler en toute liberté de Kinshasa à Montréal en passant par Dakar, Beyrouth, Hanoï, Paris, Genève et Bruxelles.

Les douze années (2002-2014) que M. Diouf a passées à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) n’ont pas suffi à vaincre les réticences des pays du nord membres de la Francophonie. M. Diouf en avait pris acte en quittant ses fonctions en novembre 2014 à Dakar.

Son second regret est celui d’avoir permis à Banjul, en 1989, à son corps défendant, de devenir le siège de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Un regret qui prend une signification particulière dans son long parcours rarissime durant lequel il fut gouverneur de région, ministre, premier ministre, président du Sénégal et enfin secrétaire général de l’OIF. Un regret ravivé par le contexte actuel de grandes tensions entre son pays et la Gambie, pays voisin livré à la dictature la plus féroce en Afrique.

« Sénégambie »

C’est en 1987 que l’Union africaine fait naître la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples pour en assurer la promotion et la protection sur le continent, puis garantir l’interprétation rigoureuse de la Charte africaine des droits de l’homme.

Initialement, c’est Dakar, la métropole sénégalaise, qui avait été choisie pour devenir capitale africaine des droits de l’homme. Mais, à coups d’arguments et de supplications, le président gambien de l’époque, Daouda Diawara (1970-1994), était parvenu à convaincre Abdou Diouf de retirer Dakar au profit de Banjul.

La permutation était d’autant plus aisée à faire accepter au reste de l’Afrique que les deux pays travaillaient alors intensivement sur le projet de « Sénégambie » : fondre le Sénégal et la Gambie, territoire enclavé, dans une même entité politique.

La greffe faisant de Banjul la capitale africaine des droits de l’homme avait bien pris. Jusqu’au coup d’Etat militaire de 1994 qui a vu s’installer aux commandes du pays un jeune lieutenant du nom de Yahya Jammeh. Dès lors, plus rien ne sera comme sous Daouda Diawara pour les Gambiens.

Entre une séance de soins au palais présidentiel pour les malades atteints du sida et des sorties enflammées contre « les colons britanniques », Yahya Jammeh sévit contre ses opposants, la presse et s’en prend pays aux voisins. La Gambie a ainsi connu ces vingt-deux dernières années une centaine d’assassinats politiques et de disparitions non élucidées dont celles des journalistes Deyda Hydara en 2004 et de Chief Ebrima Manneh en 2006.

Plusieurs opposants ou acteurs de la société civile ont également été tués dans différents lieux de détention, dont la tristement célèbre prison de Mile 2.

Paradoxe gambien

Cette dérive dictatoriale de Jammeh met en évidence ce grand paradoxe qui fait de Banjul la capitale africaine des droits de l’homme. C’est donc ici, en Gambie, que les onze commissaires de la Commission africaine qui se réunissent deux fois par an en session ordinaire ont le plus à faire pour promouvoir et protéger les droits de l’homme.

Ils préfèrent pourtant regarder ailleurs par crainte d’un président qui n’a pas hésité à expulser, en juin 2015, la représentante-résidente de l’Union européenne, Agnès Guillaud.

En attendant que s’ouvre une ère nouvelle en Gambie, l’idée d’un transfert, même provisoire, du siège de la Commission fait son chemin, surtout parmi les organisations non gouvernementales des droits de l’homme.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, est l’auteur de Niger : la junte militaire et ses dix affaires secrètes (2010-2011), (éd. L’Harmattan, 2013).