Barbara Pompili, la secrétaire d’Etat à la biodiversité, le 20 mai 2016 au ministère de l'écologie, à Paris. | TRISTAN REYNAUD pour « LE MONDE »

Nommée secrétaire d’Etat à la biodiversité en février, l’écologiste Barbara Pompili a repris en main le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Le texte adopté par les députés en deuxième lecture a été largement amputé par les sénateurs le 12 mai. Une commission mixte paritaire a échoué, mercredi 25 mai, à trouver un compromis.

Les associations environnementales jugent que, à l’issue de sa deuxième lecture au Sénat, le projet de loi sur la biodiversité est vidé de toute substance. Est-ce votre avis ?

Non. Des avancées ont été actées, comme l’inscription du préjudice écologique dans le code civil ou la création de l’Agence française pour la biodiversité. Mais le texte issu du Sénat n’est pas à la hauteur des objectifs du gouvernement. Ainsi, le principe fondamental de non-régression du droit de l’environnement, donc de la biodiversité, a été supprimé. C’est particulièrement regrettable, car une loi doit donner une direction, porter une ambition.

J’ai été frappée d’entendre dans l’hémicycle des remarques qui dénotent une grande méconnaissance de la situation. Que de dérision sur le scarabée pique-prune ou le crapaud calamite ! Il reste encore à mener un travail de fond pour faire prendre conscience que la biodiversité est en déclin et qu’il faut agir.

Sur ce plan, certains ont un train de retard, si ce n’est deux ou même trois. Ils continuent à voir la biodiversité comme un obstacle au développement économique, alors que la préservation et la reconquête de la diversité des milieux naturels sont des opportunités extraordinaires pour l’économie.

Comment expliquez-vous le « retard » des sénateurs sur ces questions ?

Le Sénat est majoritairement composé d’élus du monde rural. Des lobbys que l’on connaît bien ont été très présents : celui de la chasse, dont les représentants donnent à l’avance aux sénateurs une grille d’amendements à voter ou à ne pas voter, celui de l’agriculture ou, du moins, de l’agriculture intensive… Les industriels de l’agrochimie ne sont pas en reste. Chacun a bien sûr le droit d’expliquer et de défendre ses positions. Mais le rôle des parlementaires est de s’extraire de ces pressions parfois très fortes pour servir l’intérêt général.

En première lecture, début janvier, le Sénat s’était montré constructif. Le changement, lors du second examen, est patent. La période politique dans laquelle nous sommes entrés, de plus en plus marquée par la campagne présidentielle, n’y est pas étrangère. Elle conduit malheureusement certains à prendre des postures très éloignées des enjeux de la biodiversité.

La commission mixte paritaire de députés et sénateurs, mercredi 25 mai, parviendra-t-elle, selon vous, à un texte de compromis ?

Je ne suis pas très optimiste sur la possibilité d’un accord. Celui-ci n’est pas souhaitable à n’importe quelles conditions. L’écart entre les textes adoptés par l’Assemblée et par le Sénat est tel qu’un compromis risquerait de manquer d’ambition. Or, il s’agit d’une loi importante, qui doit donc être ambitieuse. Ma volonté est qu’elle soit adoptée avant l’été, mais je ne suis pas certaine que le calendrier le permettra.

Le dernier mot reviendra aux députés, en lecture finale. Quelle position le gouvernement va-t-il défendre sur les dossiers emblématiques des insecticides néonicotinoïdes et de l’huile de palme ?

Sur les néonicotinoïdes, le gouvernement a désormais un message clair. Avec les ministres de l’environnement, Ségolène Royal, et de l’agriculture, Stéphane Le Foll, nous avons une position commune, défendue d’une seule voix. Elle consiste à proposer d’interdire, au plus tard en 2018, les néonicotinoïdes pour lesquels il existe des alternatives, avant une interdiction complète en 2020. C’est aussi une façon de pousser la recherche et le développement sur des solutions qui ne soient pas nocives pour l’environnement et la santé, tout en garantissant aux agriculteurs qu’ils seront accompagnés dans ce changement. Quand il n’y a pas d’échéance, il y a procrastination.

Sur l’huile de palme, le gouvernement propose de mettre fin à la niche fiscale dont elle bénéficie, tout en instituant un avantage pour les filières certifiées de production durable. Le vrai problème est de s’attaquer à la déforestation qui fait des ravages sur la planète. Taxer l’huile de palme juste pour se donner bonne conscience, ce n’est pas ce qui va permettre aux pays en développement d’éviter les erreurs que nous avons faites avant eux. Il faut les accompagner avec un cahier des charges.

La question de la pêche profonde a sombré au cours de la navette parlementaire, sans susciter une grande émotion…

Inscrire dans la loi l’interdiction de la pêche profonde – à plus de 800 mètres – se voulait un message envoyé en direction de Bruxelles, où un règlement sur cette question est en cours de discussion. C’était une façon pour des députés de rappeler que ce dossier doit enfin aboutir au niveau européen. Mais la démarche a déclenché une levée de boucliers immédiate, renforcée par la rumeur lancée par certains qu’il s’agissait d’un complot pour tuer la pêche française. Quelle ânerie ! Le gouvernement agit sur la scène européenne pour faire avancer le dossier.

Les personnels appelés à travailler au sein de la future Agence française pour la biodiversité se plaignent d’absence de moyens. Que leur répondez-vous ?

Non, l’Agence ne manquera pas de budget et la mutualisation des moyens des quatre structures qui vont se fondre dans cette nouvelle organisation doit permettre de les utiliser au mieux. Mais il est vrai que l’Agence des aires marines protégées pourrait avoir plus de monde. Je connais l’équation budgétaire du pays, mais j’espère bien obtenir davantage de postes. Le président de la République lui-même a fait une annonce positive en ce sens lors de la conférence environnementale en avril.

Ce texte, annoncé dès 2012, était présenté comme une grande loi sur la biodiversité. Au final, en tant qu’écologiste, n’êtes-vous pas déçue ?

On peut toujours juger que ce n’est pas suffisant, mais je suis déjà fière de ce qui figure dans cette loi et je compte bien que les avancées remises en cause par le Sénat seront rétablies. C’est un texte tellement riche ! Il va de l’interdiction des Cotons-Tiges à base de plastique non biodégradable à l’affirmation de grands principes comme éviter, réduire, compenser : tout nouvel aménagement doit éviter dans la mesure du possible les impacts sur les milieux naturels, à défaut les minimiser et, en dernier recours, les compenser. Cela vaut pour tous les projets.

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Même l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?

Oui. Nous allons mettre ce précepte vraiment en œuvre afin d’éviter que des projets d’infrastructures ne soient bloqués en cours de route, faute d’avoir suffisamment pris en compte une zone humide, une espèce protégée… On prend encore trop souvent les grands projets à l’envers : la consultation du public doit venir en amont – des ordonnances vont en préciser les modalités. Quant à la compensation, elle ne doit vraiment être qu’une solution de dernier recours, surtout pas une voie de facilité. L’Agence de la biodiversité devra aider à remettre tout cela à l’endroit.

Cela valait donc le coup d’entrer au gouvernement ?

Les thèmes de l’écologie ont encore bien besoin d’être portés politiquement. La question du climat a beaucoup avancé ces derniers temps, elle figure désormais à l’agenda politique et plus personne ne remet en cause la nécessité de faire des économies d’énergie et de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce n’est pas encore le cas de la biodiversité, bien que j’aie déjà vu des choses bouger au sein du gouvernement depuis mon arrivée il y a trois mois. Les arbitrages évoluent, avec le soutien déterminant de Ségolène Royal. La création de ce secrétariat d’Etat à la biodiversité constitue elle-même un signe positif non négligeable. Je ne regrette pas du tout d’être entrée dans ce gouvernement.